Septembre – Le 30 septembre, Bachar al-Assad demande officiellement une aide militaire à la Russie qui entame, le jour même, une campagne de bombardements contre les groupes d’opposition au régime syrien.
En 2003, au moment où les Etats-Unis de George W. Bush attaquaient l’Irak, la Russie ne se positionnait qu’à la 11e place des budgets militaires mondiaux. Depuis deux ans, elle se retrouve à la 3e place, juste derrière la Chine. La Russie est redevenue une puissance militaire et elle aime le faire savoir. Pour preuve, elle n’a pas hésité à montrer l’efficacité de son nouvel arsenal militaire dont, notamment, ses nouveaux missiles de croisière 3M-14T, depuis le début de son intervention en Syrie.
Une politique agressive en Syrie, tolérée par l’Occident
Malgré les moyens militaires impressionnants mis en oeuvre par la Russie en Syrie pour lutter contre tous les mouvements opposés à Bachar al-Assad, les réactions du monde occidental n’ont pas été virulentes. Cela peut paraître étonnant, d’autant plus qu’il y a peu de temps encore, l’Europe et les USA discutaient ouvertement de la possibilité de déposer le maître de Damas. Dès le début de l’intervention russe, les Américains semblent avoir négocié calmement avec les Russes, notamment pour éviter des accrochages entre leurs troupes respectives.
La Russie : un interventionnisme efficace contre l’Etat islamique ?
Avant l’intervention russe en Syrie, les Occidentaux bombardaient déjà, depuis plus d’un an, les positions de l’Etat islamique, avec peu de succès. Le manque de volonté des Occidentaux, surtout des Américains, d’envoyer une nouvelle fois des troupes au sol au Proche-Orient n’est pas étranger à cela. Mais ce n’est pas la seule raison. Les règles d’engagement de la coalition occidentale contraignent les pilotes à s’assurer que seules des cibles militaires sont touchées. Avec les soldats de l’EI, se mêlant étroitement à la population, cela rend la mise en oeuvre des campagnes de bombardement difficilement efficaces.
L’approche militaire russe en Syrie semble être tout à fait différente. Premièrement, les Russes ne semblent pas être réticents à l’idée d’envoyer des troupes au sol. Deuxièmement, ils semblent moins s’embarrasser des dégâts collatéraux causés par leurs bombardements. On dit l’Etat islamique fort, difficilement destructible. C’est beaucoup moins vrai dès qu’une puissance militaire ne porte guère attention aux pertes civiles. Cette constatation est choquante, mais elle l’était sans doute moins lors de la Seconde Guerre mondiale, même pour les Américains. Dans les mois qui ont précédé la capitulation du Japon, ils ont pratiqué la technique du » carpet bombing » sur une soixantaine de villes, les réduisant en cendres, sans se préoccuper des victimes civiles.
Il y a fort à parier que vu la déshumanisation de l’Etat islamique et le peu de journalistes présents en Syrie, les dégâts collatéraux causés par la Russie ne causeront pas d’émoi en Occident avant bien longtemps. L’Etat islamique est vu comme une menace en Russie, à juste titre, vu qu’il se cache sans doute derrière l’attentat à la bombe qui, le 31 octobre, a causé le crash de l’avion russe dans le Sinaï.
Une intervention russe qui sert les intérêts des Occidentaux, bien au-delà de la destruction de l’Etat islamique
Mais, pour les Américains, l’intervention russe en Syrie est aussi en parfaite adéquation avec leur souhait de voir l’influence de l’Arabie saoudite, et donc du wahhabisme, diminuer au Proche-Orient. Le wahhabisme, qui est une secte d’Etat en Arabie saoudite (le terme religion d’Etat est ici inapproprié), est de plus en plus considéré par les Occidentaux comme étant la principale cause de toutes ces dérives de l’islam que l’on observe de nos jours. Une présence accrue de la Russie en Syrie, qui sera sans doute accompagnée de celle de son allié depuis longtemps, l’Iran, fragilisera incontestablement l’Arabie saoudite.
Et le pétrole dans tout cela ?
Lorsque l’on parle de conflits au Proche-Orient, le pétrole n’est jamais très loin. Et ici, la géopolitique du pétrole permet peut-être d’anticiper ce qui se passera au Proche-Orient, si l’intervention russe est un succès. L’Arabie saoudite sera alors en contact direct sur sa frontière nord avec la Russie et l’Iran. L’Iran et surtout la Russie souffrent d’un prix du baril du pétrole très bas causé par une Arabie saoudite qui produit trop de pétrole et qui refuse de diminuer sa production, avec pour but avoué d’étouffer certains de ses concurrents sur le marché du pétrole, notamment américains. La tentation sera dès lors immense pour ces deux pays d’utiliser leurs » nouvelles frontières communes » avec l’Arabie saoudite pour déstabiliser le régime de Riyad, en espérant que cela cause assez de chaos pour perturber significativement sa production pétrolière et donc, pour faire remonter le cours du baril de pétrole. L’oncle Sam sourira alors. Des pans entiers de son industrie domestique pétrolière, qui sont en train d’être mis en faillite par l’Arabie saoudite, seront sauvés.
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Damien Ernst et Michel Hermans