La promesse

Louis Danvers Journaliste cinéma

Il était seul, l’air déprimé, un peu soûl. Il lui a demandé la permission de s’asseoir à sa table, et de lui offrir un verre de vodka. Puis il s’était mis à déballer son histoire, à vider le sac de frustrations qu’à son jeune âge, déjà, l’existence avait copieusement rempli. Gulshat Omarova l’écoutait et, plus elle l’écoutait, plus son attention grandissait. C’était au début des années 1990, peu après l’indépendance du Kazakhstan, jusqu’alors partie de l’Union soviétique. Les Kazakhs avaient désormais un pays, mais beaucoup cherchaient en vain du travail. L’interlocuteur de Guka (le diminutif de Gulshat) était de ceux-là, ayant quitté sa famille pour la ville d’Almaty où il survivait en participant à des combats de boxe illégaux…

Des années plus tard, installée en Hollande, celle qui était désormais réalisatrice (après avoir été journaliste à la radio et à la télévision kazakhes) se souvint de cette rencontre, et se mit à écrire le scénario de ce qui allait devenir son premier long-métrage de fiction. Schizo a pour héros un adolescent qui vit dans la steppe et que le petit ami de sa mère met en contact avec des mafieux. Ceux-ci le chargent de recruter des combattants pour des matchs de boxe clandestins. Un jour, une des recrues du gamin prend trop de coups et, mortellement blessé, lui demande d’aller porter ses gains du combat fatal à son épouse et à son jeune enfant. Celui qu’on surnomme Schizo tiendra la promesse faite au mourant, et sa vie s’en trouvera changée. Car, amoureux de la jeune veuve, il s’attachera désormais à subvenir aux besoins de ceux qu’il considère comme sa nouvelle famille…

Loin du folklore

C’est dans un orphelinat que Guka Omarova a trouvé l’interprète de Schizo. Olzhas Nusupbaev était le premier garçon vu par la réalisatrice pour le casting de son film (elle comptait tenir des auditions dans les écoles et attendait la fin des vacances scolaires), et il s’imposa par son naturel, sa justesse. Filmé avec pudeur et un infini respect par la cinéaste, le jeune acteur est formidable dans un rôle pourtant difficile par les émotions multiples qui se succèdent et l’âpreté de certaines séquences. Evitant tout folklore et toute diversion, Omarova nous fait partager la trajectoire de Schizo en une suite d’images aussi belles que prenantes, intégrant l’action aux paysages avec un art conjuguant admirablement le brut et le délicat. Une expérience cinématographique qui est aussi et avant toute chose une trajectoire humaine, profonde et marquante, chroniquant le parcours initiatique d’un gamin à travers lequel tout l’avenir d’un pays se pose en point d’interrogation.

Louis Danvers

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