Le romancier à l’origine du film culte des années Watergate, avec Robert Redford, publie une suite. Nous l’avons rencontré. Il raconte une vie passée à l’ombre de son héros. Tout sauf blasé.
James Grady se souvient très bien du jour où sa vie a basculé. Il rafistolait sa douche avec du ruban adhésif quand le téléphone a sonné. » A l’autre bout du fil, une voix m’a dit que mon roman venait d’être acheté par Hollywood. La voix a continué à parler mais je n’entendais plus rien. J’ai raccroché, pris ma voiture pour aller annoncer la nouvelle à ma petite amie. Je me suis garé sur le parking et suis resté assis, longtemps, très longtemps. »
Nous sommes en 1974. James Grady a 24 ans. Le roman en question s’appelle Les six jours du Condor, même si nous le connaissons tous sous le titre de son adaptation sur grand écran, Les trois jours du Condor (Sydney Pollack ayant concentré l’action sur soixante-douze heures pour lui donner encore plus d’intensité). Personne n’a oublié Robert Redford découvrant ses collègues massacrés, les airs de chat apeuré de Faye Dunaway, Max Von Sydow en tueur glacé et cette atmosphère de conspiration généralisée, où la CIA semble tirer les ficelles invisibles du monde.
Très exactement quarante ans plus tard, James Grady est toujours assis, cette fois dans le canapé cosy d’un hôtel de Saint-Germain-des-Prés. Ses yeux bleu laser vous transpercent chaque fois qu’ils vous fixent. Il est à Paris à l’occasion de la sortie des Derniers jours du Condor, une sorte de suite de son premier roman. » Vous imaginez combien d’éditeurs m’ont proposé des ponts d’or pour que je remette mon héros en scène, soupire-t-il. J’ai toujours refusé. Mais avec le 11 Septembre, l’affaire WikiLeaks et cette omniprésente Agence nationale de sécurité, j’ai pensé que le temps était venu de confronter le Condor au monde d’aujourd’hui. »
James Grady n’était pas vraiment programmé pour devenir auteur de best-sellers. Il a grandi dans un village du Montana, enchaînant les petits boulots – fossoyeur, ouvrier dans une carrière, conducteur de tracteur… Miraculeusement, une bourse lui permet de devenir assistant parlementaire au Sénat, à Washington. » C’est là que tout a commencé, se souvient-il. Chaque matin, pour aller au Capitole, à l’intersection d’A Street et de Fourth Avenue, je passais devant une maison avec une façade en stuc blanc, dont les fenêtres étaient masquées par des stores. Je ne voyais jamais personne y entrer ou en sortir. Un jour, je me suis dit : et si c’était une couverture de la CIA ? Et si, un jour, en rentrant de déjeuner je découvrais tous mes collègues assassinés ? Ce sont ces deux épiphanies qui ont donné naissance au Condor. »
Succès mondial à 25 ans
Grady rentre dans le Montana et s’installe devant sa machine à écrire. » J’étais jeune, inconscient et j’ai écrit Les six jours du Condor en quatre mois. Je l’ai envoyé par la poste à des éditeurs et, un beau jour, l’un d’entre eux m’a appelé pour me dire qu’il était prêt à le publier. Il m’en a offert 1 000 dollars. C’était une fortune, pour moi, à l’époque ! »
On connaît la suite – la douche, Hollywood, le caban bleu marine de Robert Redford… » Ce qui est très étrange, c’est qu’entre l’écriture du roman et sa sortie au cinéma il y a eu le Watergate. Pendant des années, on avait vécu obsédé par le Vietnam, et soudain tout basculait dans la conspiration et la paranoïa. Sans le savoir, avec le Condor, j’ai eu l’intuition de tout ça, même si la chance a joué son rôle, bien sûr « , confesse Grady, modeste. Le romancier aura le privilège de vivre aux premières loges la procédure d’impeachment de Nixon au Sénat, où il officie toujours comme assistant parlementaire.
Mais comment survivre à un tel succès mondial quand on a à peine 25 ans ? » J’aurais pu péter les plombs, concède Grady. Les premiers droits que j’ai touchés sur le film représentaient sept fois ce que mon père gagnait en un an en tant que projectionniste ! En gérant bien mon argent, je crois même que j’aurais pu arrêter de travailler et m’installer dans une cabane au bord d’un lac, au Montana. Le Condor plane sur moi comme une ombre gigantesque depuis quarante ans. Mais, à l’époque, je ne me suis même pas acheté un nouveau jean. J’ai continué à écrire. L’écriture, pour moi, s’apparente à l’héroïne ou au sexe : un besoin irrésistible. » Avec son épouse, Bonnie Goldstein, ancienne détective privée, et leurs deux enfants, le romancier s’installe à Washington, pas vraiment la capitale des écrivains déjantés. Grady aligne dès lors les romans noirs, récoltant des prix prestigieux en France, en Italie ou au Japon, se payant même le luxe de refuser l’énorme chèque que les héritiers de Robert Ludlum lui proposaient pour reprendre le flambeau.
Un héros vieilli
» Je déteste les techno-thrillers, balaie Grady. Un roman doit nous aider à comprendre nos vies, pas nous expliquer comment fonctionne une machine. » Certes, les smartphones, la géolocalisation et Internet apparaissent dans Les derniers jours du Condor. Mais le coeur de cette suite réussie reste son héros, sorte d’espion senior, assorti de petits soucis de prostate et d’une nouvelle conquête flirtant avec la soixantaine. On imagine très bien Robert Redford reprendre du service. » Je lui ai envoyé le livre, mais celui-ci m’est revenu avec la mention « N’habite plus à l’adresse indiquée » « , raconte le romancier. Une nouvelle conspiration ? Depuis, l’ouvrage été envoyé à la bonne adresse. A la place de James Grady, on irait réparer la douche. Just in case…
Les derniers jours du Condor,par James Grady, Rivages/Thriller, 384 p.
Par Géraldine Catalano et Jérôme Dupuis