La nouvelle Terre promise

L’exploration de la Planète rouge dope la technologie et la créativité des ingénieurs et des scientifiques. Elle fait avancer la recherche médicale, les moyens de communication, la robotique et l’aéronautique, tout en stimulant l’emploi. Une nouvelle révolution industrielle est en marche.

Chaque conquête humaine a agité les imaginaires. Chacune accompagnée de son cortège d’enjeux politiques, militaires et économiques. L’odyssée de l’espace dans son ensemble, et l’exploration martienne en particulier, ne dérogent pas à la règle. Ainsi, en France, le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, paru en 2008, affirme, sans ambages, que  » l’espace extra-atmosphérique est devenu un milieu aussi vital pour l’activité économique mondiale et la sécurité internationale que les milieux maritime, aérien ou terrestre « .

Dans son bureau du Laboratoire univers et particules (LUPM), à Montpellier, premier  » centre spatial universitaire  » de France, le physicien Denis Puy est intarissable sur la question martienne. Alors que les spectaculaires photos de Mars défilent sur son écran d’ordinateur, il confirme que la notion financière fait partie intégrante des missions spatiales :  » Dans les plans de développement de ces missions, les Etats réclament l’indication du nombre d’emplois créés. Il est évident que plus le volume d’emplois est important, plus les budgets votés par les nations sont élevés. La notion de « retour sur investissement » est présente. C’est dommage pour la recherche pure, mais c’est une réalité.  »

Obtenir plus de budgets, par tous les moyens, notamment via la communication : voilà ce à quoi les agences spatiales occupent une grande partie de leur temps. La Nasa, comme les autres. Sauf que l’Administration nationale américaine de l’aéronautique et de l’espace le fait mieux que les autres. En annonçant la présence  » d’eau liquide  » sur Mars, fin septembre dernier, l’agence spatiale américaine a probablement réussi à s’assurer ses budgets d’exploration spatiale, comme elle l’avait fait, en 1996, lorsqu’elle avait présenté la météorite ALH 84001 comme porteuse de traces de vie microbienne passée sur la Planète rouge.

Un furtif retour dans le temps s’impose : le 1er octobre, deux jours après l’annonce fracassante de la Nasa, le Congrès américain démarrait l’étude du budget 2016. Au menu, notamment, le montant à allouer à l’exploration martienne et à son plus lointain corolaire, l’envoi de la première mission habitée vers Mars, promise par Barack Obama, lors de son discours à la nation. Et, le 2 octobre, The Martian (en français Seul sur Mars), fruit d’une intense collaboration entre Ridley Scott, le réalisateur du film, et la Nasa, sortait en salles… avec deux mois d’avance sur la date initiale…

En 2014, avec ses 17,8 milliards de dollars, le budget de l’administration spatiale américaine représentait seulement 0,5 % du budget fédéral (soit 27 fois moins que le montant accordé à la Défense). Aucune autre agence spatiale ne se paie le luxe de telles ressources. De facto, malgré la collaboration scientifique internationale dans le domaine de l’exploration de Mars, une chose est établie : la domination de la superpuissance américaine.  » Aujourd’hui, un seul pays est capable d’envoyer des hommes sur Mars : les Etats-Unis. Le reste du monde observe « , constate l’astrophysicien Francis Rocard, directeur du programme d’exploration du système solaire, au CNES (Centre national français des études spatiales).

Il faudrait que les Européens multiplient par dix leur budget spatial, pour pouvoir regarder les Américains dans les yeux. Et ce n’est pas d’actualité. La mort annoncée de l’ISS (la Station spatiale internationale), aux alentours de l’année 2020, engendre toutefois des enthousiasmes de part et d’autre de l’Atlantique. La communauté scientifique a d’ores et déjà un oeil braqué sur le ciel et l’autre sur sa calculette : la fin de l’ISS pourrait annoncer une entrée d’argent considérable, tant pour le programme européen Aurora, lancé en 2001, et aujourd’hui comateux, faute de fonds, que pour son pendant américain, Mars Direct.

Vers un bouleversement de l’ordre mondial

Jusqu’ici, on n’a pas pu étudier le sol martien au-delà d’une quinzaine de centimètres de profondeur. On y a trouvé de l’eau gelée, qui s’est très vite évaporée, au contact de l’atmosphère martienne. Le prochain challenge du nouveau robot mobile Rover, à l’étude par l’Agence spatiale européenne (ESA) et la Nasa, sera de creuser, de gratter un peu plus loin : à 1 ou 2 mètres de profondeur. Que trouvera-t-on sur la planète soeur de notre Terre, distante de 230 millions de kilomètres ? Les similitudes géologiques sont telles que tous les rêves sont permis.

Et donc, si le fil rouge de l’aventure spatiale demeure la découverte de vie fossile sur Mars (ainsi que sur les satellites de Jupiter), qu’arrivera-t-il lorsqu’une mission tombera sur des gisements de titane, d’or ou de fer ? Pour l’heure, l’une des seules ressources extraterrestres identifiées, se trouve sur la Lune. L’hélium 3, un élément radioactif issu du vent solaire, est nécessaire à la fusion thermonucléaire. Son exploitation serait envisageable dès 2025, via une base lunaire. Concrètement dit : l’exploitation économique des corps célestes, si des ressources précieuses venaient à être découvertes sur Mars, comme ailleurs, ne risquerait-elle pas de faire trembler le monde sur ses bases en modifiant les équilibres géopolitiques ?

 » Il faut s’en inquiéter « , estime-t-on à Belspo, l’organisme de politique scientifique fédérale, qui gère notamment la contribution belge à l’Agence spatiale européenne :  » Si, dans un avenir plus ou moins lointain, un Etat (ou un petit groupe d’Etats) développe la technologie permettant la mise en place d’un schéma économiquement viable pour l’exploitation de ressources minérales provenant d’un autre corps céleste que la Terre, la question se posera alors de l’impact qu’une telle avancée pourrait avoir sur l’ordre économique mondial. Si cette ressource permet, par exemple, des applications industrielles ou scientifiques telles qu’elles constituent un  » saut  » technologique, on devra s’inquiéter du déséquilibre global qu’engendrerait la mainmise d’un seul Etat (ou groupe d’Etats) sur cette ressource.  »

Juridiquement, l’espace n’appartient à personne. Seul un traité de 1967 interdit d’y placer des armes de destruction massive. Reste que cette non-territorialisation de l’espace signifie aussi que n’importe quel Etat, groupe d’Etats ou entreprise privée peut explorer (et exploiter ?) ce que bon lui semble dans le cosmos. A l’aune du vide juridique quasi total concernant l’exploitation économique de l’espace, il n’est pas interdit de penser que, tôt ou tard, ce seront les Américains qui fixeront les prix des minerais et métaux nécessaires à notre civilisation ultraindustrialisée. La mainmise des Etats-Unis sur certaines  » terres rares  » importées du cosmos remplacerait alors la domination chinoise, en matière de minerais : aujourd’hui, Pékin gère 97 % des ressources minérales mondiales.

 » Tôt au tard, il va falloir s’attaquer à ce problème « , admet Francis Rocard.  » Bien qu’aujourd’hui il n’y ait pas de ressources exploitables identifiées sur Mars, il n’est pas idiot de regarder du côté des astéroïdes. Donc oui, la question de l’appartenance des ressources extraterrestres doit être posée. Avant de parler d’exploitation dans l’espace, il faudrait qu’il y ait une énorme pénurie d’éléments sur terre. Mais cette pénurie est une réelle menace.  »

Pour l’heure, le droit lié à l’appartenance de ce que l’on trouve au-dessus de nos têtes est embryonnaire. L’accord des Nations unies régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes, du 18 décembre 1979, reste un instrument d’avant-garde qui a le mérite d’exister. Mais un tel accord pourrait-il encore être négocié aujourd’hui ?  » On peut raisonnablement en douter « , estime-t-on à Belspo qui souligne que le risque de déséquilibres au niveau mondial ne doit pas être négligé :  » La mise en place d’un mécanisme de partage des ressources naturelles extraterrestres (à l’exception de l’énergie solaire, bien sûr) est une nécessité si l’on souhaite éviter des déséquilibres graves à l’échelle mondiale ou légitimer l’utilisation de telles ressources en appui de missions spatiales.  »

Une ruée vers l’or ?

On ignore toujours ce que recèle exactement Mars. Les quarante dernières années n’ont pas permis à la communauté scientifique de connaître avec précision l’ampleur de son potentiel géologique, minéral et chimique. Il faudra, dans un premier temps, attendre 2016-2018 et la mission Mars Sample Return : un projet conjoint aux Etats-Unis et à l’Europe, qui vise à rapporter sur Terre, à l’aide d’un orbiteur faisant la liaison entre les deux planètes, 500 grammes d’échantillons martiens.  » Si, un jour, on découvrait des minerais en grande quantité sur la Planète rouge, alors, oui, pourquoi ne pas envisager une exploitation ? « , avance le géologue Philippe Masson, qui a travaillé pendant quarante ans avec l’ESA et a participé à la mission Mars Express.

Mais, dès avril 2012, la société américaine Planetary Resources (appuyée par le patron de Google, Larry Page, par James Cameron, le réalisateur d’Avatar, et par l’entrepreneur britannique Richard Branson) a annoncé son intention de se lancer dans l’exploitation minière d’astéroïdes riches en platine, or, nickel, fer ou autres éléments. Le space mining n’est pas une fantaisie sans fondement : le directeur de Planetary Resources, Chris Lewicki, a été très impliqué dans la réalisation des rovers de la Nasa et de son lander Phoenix. La technologie, il l’a.

On fait donc face à des projets privés colossaux dont la faisabilité technique et la viabilité économique relèvent du possible, même s’ils font sourire plus d’un scientifique. Alors que certaines ressources naturelles ont bien été identifiées, notamment sur la Lune (l’hélium 3), ou sur Titan (du méthane), côté Etats, aucun modèle économique sérieux et documenté n’existe pour prédire une date de mise en exploitation.

Or, si Mars regorge d’une infinité de mystères, on sait, en revanche, qu’il existe des océans de méthane sur Titan, un hydrocarbure étudié dans le cadre de la mise au point de moteurs destinés à la propulsion spatiale.  » Pour l’exploitation du méthane sur Titan, Mars pourrait parfaitement servir de base arrière, d’intermédiaire entre la Terre et Titan « , estime-t-on au LUPM. Mais ce ne serait pas pour demain.  » Ce genre de choses est possible, mais je crois que ce sera pour le siècle prochain « , estime son directeur.  » C’est de la science-fiction « , réagit Francis Rocard. Reste qu’entre  » science  » et  » fiction « , il existe un trait d’union.

Dans tous les cas, jadis braise lointaine suspendue dans le ciel, Mars apparaît aujourd’hui comme la nouvelle Terra Incognita. Et constitue l’objectif ultime qui clôturera la première ère de la conquête spatiale, en sortant l’humanité de l’espace Terre – Lune. Une authentique révolution.

Par Rosanne Mathot

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