La métamorphose de Laurette Onkelinx

La cheffe de groupe socialiste à la Chambre ne hurle plus comme au début de la suédoise. Mais un an plus tard, elle dénonce toujours un  » pouvoir autoritaire  » et met le Premier ministre au défi de construire une vision d’avenir. Sous le regard plus ou moins convaincu de ses collègues.

 » Cette majorité est solide et unie. Nous allons poursuivre le chemin ensemble.  » Tandis que les derniers mots de la déclaration générale de Charles Michel résonnent dans l’hémicycle vert désuet de la Chambre, ce mardi 13 octobre, Laurette Onkelinx part dans un grand éclat de rire et adopte l’air entendu de celle qui ne veut pas croire ce qu’elle vient d’entendre.

La cheffe de groupe PS n’est plus la  » pasionaria  » d’il y a un an qui éructait pour réclamer la parole et s’indigner face au comportement des ministres N-VA. Cette fois, c’est une femme libre qui préfère s’amuser et miser sur l’échec annoncé, tôt ou tard, de ces  » recettes de droite classique « , comme elle les nomme. Objectif, désormais : construire l’alternative socialiste nouvelle mouture, tout en ciblant les failles de la suédoise. Une mue dont tout le monde n’est pas forcément convaincu.

 » Je continuerai à dénoncer  »

Laurette Onkelinx ne regrette pourtant pas cette séance historique du 14 octobre 2014, quand son attitude survoltée, jusqu’à empêcher le Premier ministre de prendre la parole, avait amené la majorité à la qualifier d’un mot cinglant :  » hystérique « .  » Vous m’auriez vue, il y a un an, à la veille de la déclaration gouvernementale, je vous aurais pourtant dit, comme aujourd’hui, que je commenterais les points positifs et négatifs de la déclaration, argumente-t-elle. Ce sont les révélations concernant les ministres N-VA et la gestion de la séance par le nouveau président de la Chambre, Siegfried Bracke, qui m’ont fait sortir de mes gonds. Ma volonté n’est jamais d’être calme ou pas calme, mais de dire ce que j’ai dans le ventre. Et je continuerai à dénoncer si cela est nécessaire…  »

De même, elle dément publiquement ceux qui affirment l’avoir vu déprimée l’année dernière, incapable de passer soudain de vingt années dans les ors au travail ingrat de l’opposition.  » Je n’ai eu aucun mal à changer de rôle, soutient-elle. C’est toujours mon action de politique de faire vivre des idées, d’essayer de faire aboutir des projets, mais avec une fonction différente. J’ai davantage de liberté dans mes horaires et je ne suis plus coincée dans un accord de gouvernement. Cela permet aussi de prendre du recul, d’examiner de nouvelles idées et de nouveaux concepts. L’opposition, cela ne consiste pas à dire non à tout, mais aussi à suggérer.  »

En tant que présidente de la fédération bruxelloise du PS, Laurette Onkelinx multiplie les réflexions, les colloques et les rencontres de terrain. Bruxelles  » la mal-aimée « ,  » la Région pointée du doigt par la N-VA « , doit devenir à ses yeux un  » laboratoire d’idées « . Service citoyen, démocratie participative,  » transition éco-sociale « … : les chantiers ne manquent pas.  » Je veux bousculer, oser davantage, dit-elle. A force d’être dans une boîte, on ne voit plus qu’on peut l’élargir. Maintenant, je m’amuse. C’est joyeux, même si la situation ne l’est pas et s’il y a des gens qui crèvent…  » L’ancienne vice-Première se réinvente.

 » Une logique de confrontation  »

Pour autant, elle continue à vilipender Charles Michel, dont le discours est teinté selon elle d’une  » grande autosatisfaction mal placée « .  » Ce gouvernement est évidemment légitime, mais il est né d’une volonté d’allier les droites pour rejeter les socialistes dans l’opposition, dénonce-t-elle encore. Toutes les droites y sont : catholique, libérale et nationaliste… Et le déséquilibre initial contre les francophones est dangereux pour l’avenir. Cela reste un péché originel. Le MR s’est mis dans la gueule du loup nationaliste et cela crée des problèmes qui vont s’amplifier.  »

De quel ordre ?  » Ils mettent à mal notre modèle de concertation. Le dialogue social au sein du Groupe des Dix est plus qu’enrayé. Cette semaine, le Conseil général de l’Inami a refusé le budget des soins de santé : c’est la première fois que j’entends cela. Les piliers mutuellistes refusent leur logique d’austérité. Et le Comité de concertation entre le fédéral et les entités fédérées ne fonctionne plus bien du fait du fédéral qui n’avertit pas les Régions des conséquences budgétaires de ses décisions. C’est un gouvernement qui est dans une logique de confrontation permanente.  »

Un gouvernement, aussi, qui tombe à ses yeux dans une forme d’arrogance.  » Cette volonté d’être le chef est manifeste, elle s’exprime aussi avec le Parlement. Ils adoptent des projets sans accepter ce qui s’exprime en commission. Tous les acteurs de la justice auditionnés au sujet de leurs projets de réforme ont, par exemple, affirmé qu’il fallait changer un certain nombre de choses. Nous avons demandé que l’on puisse déposer des amendements, cela a été refusé. C’est un pouvoir à tendance autoritaire. On a bien réussi à faire passer l’une ou l’autre propositions de loi sur les fonds Vautour ou les mariages arrangés, mais c’est vraiment à la marge. C’est : « Cause toujours, tu ne m’intéresses pas ! » S’ils sont contre la démocratie représentative, il faut le dire…  »

 » Une opposition jusqu’au-boutiste  »

Parmi ses collègues parlementaires, on observe de près les contours de ce nouveau positionnement, sans forcément y croire.  » Il est indéniable que sur le plan du non-verbal, Laurette Onkelinx donne une autre image que l’année dernière, constate Catherine Fonck, cheffe de groupe CDH. Mais ce n’est là que façade car, sur le plan du verbal, je serais plus partagée : elle reste dans une opposition jusqu’au-boutiste.  »

La députée humaniste en veut pour preuve cette discussion en conférence des présidents sur le  » pot-pourri justice  » qui devrait être adopté ce vendredi 16 octobre en séance plénière.  » Autant je suis la première à dire que le gouvernement s’est littéralement foutu du monde de la justice en ne l’écoutant pas, autant je dénonce les techniques procédurières utilisées par le PS pour tenter d’empêcher le vote. Cela a donné lieu à des moments de tension où l’on retrouvait la Laurette Onkelinx de l’année dernière. Chassez le naturel, il revient au galop… J’avoue avoir été perplexe. Et nous avons refusé d’apporter nos voix pour soutenir cette logique destructrice.  »

Preuve qu’il n’est pas forcément facile pour le PS de dominer l’opposition, Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB, prend le contre-pied :  » Contrairement à elle, nous préférons rester en symbiose avec l’opposition sociale qui s’exprime dans la rue. Ce n’est pas en deux ou trois semaines et avec quelques amendements que l’on fera reculer le gouvernement. Ce sera une lutte de longue haleine. Il est temps de se réveiller !  »

Seul l’Ecolo Jean-Marc Nollet est davantage convaincu. Il veut croire à ce sursaut du PS… avec quelques pointes d’ironie.  » Je suis doublement positif, assure-t-il. Je suis content de voir qu’ils ont décidé de renforcer leurs liens avec les socialistes flamands. Nous appelions cela de nos voeux depuis longtemps. Si j’entends bien et si j’ai bien lu, je crois qu’ils vont dorénavant s’occuper d’environnement. C’est bien pour nous d’avoir de nouveaux alliés, surtout que le gouvernement Michel est très absent dans ce domaine alors que la Conférence de Paris approche à grands pas.  »

Oui, l’opposition doit être davantage constructive, enchaîne Jean-Marc Nollet.  » Mais il faut avoir du répondant du côté du MR.  »

Message reçu ? Pas forcément. Denis Ducarme, chef de file MR, lui, tacle comme à la Coupe du monde de rugby l’idée d’avoir une Laurette Onkelinx  » new style « .  » J’espère effectivement qu’elle va se calmer, lâche-t-il. Et j’espère en effet que l’on aura droit à des débats davantage constructifs et non à des caricatures de notre politique. Ce fut encore loin d’être le cas en juin et en juillet ! Après la déclaration de Charles Michel, elle a déjà voulu rejouer avec les peurs…  »

Pour le libéral, c’est simple, l’opposition serait au fond  » soufflée  » par le résultat du tax-shift et bien en peine de trouver la riposte adéquate.  » Il y a quand même quelque chose qu’ils ne peuvent pas contredire, c’est que ces mesures vont créer de l’emploi, clame-t-il. Quand on supprime les cotisations sociales pour les premiers emplois créés dans les PME ou quand on fait passer les charges sur les bas salaires de 17 à 10 % d’ici à la fin de la législature, c’est considérable.  »

 » Construisons ensemble cette vision !  »

Dans son bureau de la maison des parlementaires, Laurette Onkelinx suit avec attention chaque développement d’un débat politique transformé en champ de bataille. Elle compte critiquer,  » sans que ce ne soit un élément central « , l’attitude du porte-parole du Premier ministre qui a sévèrement réprimé un journaliste de la RTBF. Elle s’amuse de voir que l’Open VLD Maggie De Block, qui lui a succédé à la Santé, met déjà en doute la taxation des sodas sucrés décidée dans le cadre du glissement fiscal :  » C’est quand même inimaginable. Je suis d’accord avec elle pour dire que ce qui est sur la table est mauvais parce que cela n’aura aucun effet sur la consommation.  »

Griffonnant des tableaux et des graphiques sur un papier devant elle, elle s’emploie encore à démontrer que l’épure budgétaire du gouvernement fédéral est intenable, qu’un trou de trois milliards est prévisible.  » Les cadeaux sont programmés, mais pas les recettes. Des économies devront encore être réalisées et la sécurité sociale risque de souffrir.  » Surtout, elle s’étonne d’un discours  » plat  » du Premier ministre,  » qui n’a présenté aucune vision sur l’état de notre société, sans doute parce qu’il n’y a pas d’accord à ce sujet au sein de sa coalition.  »

Fidèle à sa nouvelle ligne, elle conclut :  » Je voudrais que l’on construise ensemble cette vision de la Belgique qui a fait fortement défaut par un dialogue fécond, notamment au Parlement.  » La  » nouvelle  » Laurette Onkelinx met le gouvernement au défi de lui répondre autrement que par la formule, désormais éculée :  » Nous faisons ce qu’il était impossible de faire avec les socialistes.  » Un an après, cette argumentation de la suédoise a, il est vrai, atteint ses limites.

Par Olivier Mouton – Photos : Jonas Roosens pour Le Vif/L’Express

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