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Faut-il en prendre (des hormones !) ou les refuser ? Faut-il en rire (la ménopause), ou en pleurer ? Partager seulement entre initiées le récit des maux, petits ou grands, qui surgissent parfois ? Ou les évoquer comme n’importe quelle grippe ? Se résigner à assumer les regards condescendants de ceux qui se poussent du coude face aux rougeurs et transpirations insolites ? Dans notre société du paraître, vieillir est difficile. Pis : pour une femme, c’est même une faute de goût.
Lorsqu’on évoque la ménopause, c’est souvent pour énumérer sa nuée de symptômes gênants ou autres inconvénients divers. Mais, assure-t-on aussitôt, par chance, il existe des traitements qui gomment tout cela. Grâce à eux… roulez vieillesse ! Au fait, puisqu’il existe des traitements, c’est qu’il s’agit d’une maladie, non ? Eh bien, non. D’ailleurs, pour peu qu’on le leur demande, les médecins confirment que la ménopause n’est qu’une période de transition et de rééquilibrages, hormonaux, en particulier.
Voici la voix d’une femme, le Dr Catherine Markstein, généraliste longtemps spécialisée dans les soins palliatifs. Son nouveau combat : la ménopause. Elle a décidé de briser les clichés, les on-dit, les malveillances, le mépris qui entourent cette mutation. Selon elle, cette étape représente aussi, pour les femmes, une occasion de gagner en liberté et en autonomie, y compris face au corps médical. Une chance pour choisir comment vivre au mieux ce passage… vers la sagesse.
Le Vif/L’Express : Voici le texte d’un article diffusé récemment par une agence de presse : » La ménopause entraîne chez la femme de multiples inconvénients de façon plus ou moins accentuée : bouffées de chaleur, troubles du sommeil, de l’humeur, de la libido, transpirations nocturnes, instabilité émotionnelle. D’autres symptômes liés à la carence en £strogènes s’installent ensuite : ennuis urinaires, troubles de la fonction sexuelle. » Quel tableau ! Que pensez-vous de ces quelques lignes ?
Dr Catherine Markstein : Elles confirment que nous vivons dans un discours de médicalisation de la ménopause. Né dans les années 1960, il repose sur le fantasme de traitements censés garder aux femmes leur jeunesse. En réalité, elles ne sont pas des » êtres déficitaires » et ne souffrent pas d’un syndrome de carence hormonal, comme on veut le leur faire croire. Car le corps est parfaitement outillé pour produire tout au long de sa vie les hormones dont il aura besoin. Même après la ménopause, il fabrique donc toujours des £strogènes et des progestérones (voir l’encadré ci-dessous).
En réalité, la ménopause n’est pas une maladie, mais un passage, une transition. On sait qu’un bon équilibre psychosocial permet de stimuler le nouvel état hormonal qui s’installe. Ainsi, dans certaines cultures, la transition vers l’âge des femmes mûres est honorée : à la ménopause, la femme accède à un statut qui accroît sa liberté d’action et de parole. Chez les Indiens Mohaves, par exemple, il s’agit d’une étape d’épanouissement social et amoureux. Or on sait que les femmes qui jouissent d’une reconnaissance socioculturelle présentent beaucoup moins de symptômes que celles qui se sentent dévalorisées.
En tout cas, une recherche allemande a constaté qu’un tiers seulement des femmes en ménopause présentent des symptômes importants. Des inconforts ont été signalés dans une même proportion. Toutes les autres ont évoqué des signes mineurs ou peu dérangeants.
Quelques travaux û dont on parle peu û montrent aussi que, libérées de leurs règles, de contraintes de contraception et, surtout, mûries par l’expérience de la vie et du couple, les femmes formulent davantage à leurs partenaires leurs désirs, leurs besoins, leurs envies sexuelles. Elles aménagent autrement leurs priorités et deviennent plus encore actrices de leur vie.
Vous dénoncez le fait que le corps âgé, et celui des femmes en particulier, est saisi prioritairement sous l’angle de la maladie. Quelle conséquence cette démarche a-t-elle ?
On assiste à un réductionnisme biologique et à une surmédicalisation du corps des femmes. Il existe un décalage entre les témoignages des femmes ou le récit de leur vécu intime durant cette période et les images véhiculées dans la société, qui sont souvent interprétatives, péjoratives, dévalorisantes.
Nos sociétés européennes sont traversées par trois tendances, qui s’interpénètrent et se rejoignent sur certains points. La première est une tentative destinée à effacer la ménopause, à maintenir la femme dans un canevas et une image du » paraître jeune « . On lui propose donc, par exemple, une alimentation antiménopause ou anti-âge, des cosmétiques qui vont avec, et un plan d’action pour rester active et productive. On dénie le vieillissement, on le camoufle, on le repousse, on fait tout pour annuler cette échéance.
La deuxième option consiste à surmédicaliser la ménopause, en lui donnant presque un statut de maladie. On propose donc des traitements divers, et je ne parle pas ici uniquement de celui de substitution hormonale.
Enfin, certains courants revalorisent la ménopause, présentée comme une étape de maturation de la vie. Mais on y retrouve une tendance à ne pas prendre en compte la réalité des femmes, à embellir ou à glorifier cette période.
A travers ces trois cas de figure, qui sont autant de négation de la réalité des femmes, on perçoit les cibles potentielles des firmes pharmaceutiques, de celles qui vendent » du bien-être » ou, encore, de l’industrie cosmétique. Ces industries font peser une série de pressions sur les femmes qui les empêchent d’aller vers une démarche active de prise en charge personnelle, individuelle et de s’approprier cette étape importante de leur vie.
Vous ne pouvez nier l’existence d’un certain nombre de symptômes désagréables durant cette période…
Indubitablement. En réalité, les changements survenant avant, pendant ou après la ménopause provoquent des effets physiques variables. Chez certaines femmes, ils sont perturbants, chez d’autres, ils font partie intégrante d’un passage important et bienvenu. Qu’ils soient d’ordre physique ou psychique, il est difficile d’estimer le rôle respectif des modifications hormonales, celles du vieillissement et celles suscitées par la représentation culturelle de cette période de la vie.
Peu d’études sont menées auprès des femmes concernées. L’une d’entre elles, réalisée en Israël, a étudié la manière dont des femmes de différentes ethnies et de vécus divers traversaient cette transition : beaucoup l’ont ressentie comme l’accession à une liberté symbolique, détachée enfin d’un souci de contraception. En fait, après l’âge de la fécondité physique, c’est un peu comme si la place se libérait pour un autre type de fécondité, qui peut s’exprimer par plus de créativité psychique, intellectuelle ou artistique.
Prétendez-vous que puisqu’il s’agit de troubles transitoires, il est inutile d’ y apporter des réponses médicales ?
Absolument pas. Ce dont je suis persuadée, c’est qu’il faut cesser de jouer avec les peurs des femmes : la peur du vieillissement, de la ménopause, des hormones, des maladies… Ce qui compte, c’est de soutenir la femme à travers sa transformation. Cela passe d’abord par une information complète, en dehors de toute idée préconçue, y compris sur les hormones ou sur les phytohormones, dont on dit bien peu que le principe actif peut perturber l’organisme.
Je plaide pour que, de tous côtés, on résiste enfin aux pressions commerciales et que l’on cesse d’accepter que le marketing soit plus fort que la science. Nous devons nous informer des possibilités réelles de chaque produit et de leurs limites ou inconvénients et créer des liens entre les différentes approches possibles. Il s’agit de respecter un principe essentiel : si la femme souffre, et elle est la seule à pouvoir dire et à évaluer sa souffrance, tout doit être fait pour que cela cesse, y compris avec des hormones. Mais il existe, aussi, d’autres pistes…
Que proposez-vous ?
La grande majorité des femmes sont soulagées des signes des transformations qu’elles vivent au moyen de simples produits à base de plantes, d’oligoéléments et de vitamines mais, aussi, lorsqu’elles les associent à des exercices modérés, comme le yoga, la danse, le jogging, la natation. Si, malgré tout, les symptômes restent des sources de souffrance qui affectent la qualité de la vie, un traitement hormonal peut être envisagé. Il en va de même en présence d’un risque important d’ostéoporose, par exemple. Mais, sur ce point, il ne faut pas omettre que le dépôt osseux peut être augmenté, même après 60 ans, par un exercice physique modéré et un certain type d’alimentation. Il existe aussi d’autres traitements efficaces qui sont des alternatives à l’hormonothérapie substitutive. De plus, en termes de santé publique, c’est la prévention des chutes qu’il faudrait privilégier avant tout ! En tout cas, bien informée, la femme doit être replacée au centre du processus de décision des traitements.
D’autre part, je plaide pour que, comme en Suisse, en Allemagne ou au Canada, on puisse proposer des lieux et des groupes d’information, de partage, de réflexion, de parole entre les femmes pour favoriser leur autonomie de choix et valoriser leurs ressources. En fait, ce qui importe, c’est de soutenir les femmes qui en manifestent le besoin et de les encourager à se construire une nouvelle identité.
Mieux informer les femmes, créer des groupes de paroles et faire de l’exercice, comme vous le suggérez, est-ce suffisant ?
Une étude a montré que les femmes ayant participé à des groupes de parole (auxquels elles ajoutaient un exercice physique modéré) ont une meilleure qualité de vie que celles qui recevaient uniquement un traitement hormonal de substitution. En fait, l’approche que je propose est, aussi, un véritable outil de prévention contre la dépression et des troubles psychosomatiques dont souffrent certaines femmes de cet âge-là. Ces groupes devraient donc s’intégrer dans des programmes de santé publique et être accessibles à toutes celles qui le souhaitent.
La féministe Germaine Greer a écrit : » La ménopause est un changement fondamental qui demande une acceptation profonde pour ne pas être vécue comme insupportable. » Il est possible d’aider les femmes à » émerger « , à mieux traverser cette nouvelle naissance et à en sortir renforcées. Mais cela implique de sortir des dogmatismes actuels, d’imaginer de nouvelles structures et d’autres relations avec le corps médical. Entretien : P. G.
Pascale Gruber
» Il faut cesser de jouer avec les peurs des femmes : la peur du vieillissement, de la ménopause, des hormones, des maladies »