Pillés, vandalisés ou encore bombardés, les musées et sites archéologiques des pays en conflit comme la Syrie sont les victimes silencieuses de barbares dévastant tout sur leur passage. Des trésors inestimables se monnaient au marché noir.
Depuis le début du conflit en Syrie, hommes, femmes et enfants tombent chaque jour par dizaines. L’ONU fait état de près de 200 000 morts. Mais la guerre ne déchire pas que des vies humaines. Une de ses faces cachées est la destruction et le pillage à grande échelle du patrimoine culturel. Un sujet sensible. Se préoccuper de la pérennité des sites archéologiques passe souvent mal, quand on mesure l’horreur vécue par les populations locales. Et pourtant, l’alerte doit être lancée : saccager les trésors séculaires d’un pays revient à détruire son identité.
En réalité, le phénomène est loin d’être isolé. Les mêmes problèmes se posent dans toutes les régions d’Afrique et du Moyen-Orient en proie à des troubles civils ou à des conflits armés. L’Afghanistan a déjà été éprouvé : en 2001, le pays perdait l’un de ses trésors millénaires. Les talibans abattent les bouddhas de Bâmiyân. Motif ? Toute représentation humaine est interdite par la doctrine islamique. Leur destruction cause une vive émotion. L’Egypte, l’Irak, le Mali rencontrent des situations analogues. Dès que règne l’instabilité, les risques d’atteinte au patrimoine sont multipliés de manière dramatique.
Trois fléaux
Berceau des anciennes civilisations, la Syrie a fondé son identité sur l’héritage grec, byzantin et ottoman. Perle historique du Moyen-Orient, ce pays est l’un des plus vieux du monde, l’un des plus riches aussi. Un territoire qui méritait d’être épargné. C’était sans compter la brutalité de bandes armées et très bien organisées.
Le patrimoine culturel est endommagé de trois façons. La première concerne les bombardements de sites ou de quartiers historiques. Combats, tirs de roquette ou attaques à la voiture piégée détériorent, de manière irréversible, des découvertes archéologiques inestimables. C’est le cas de villes telles que Homs et Alep. Un vandalisme gratuit ou perpétré au nom de la religion. Ces sauvages visent alors la destruction des symboles d’une civilisation antique antérieure à l’islam ou de la jâhiliyya ( » époque de l’ignorance « ). Autre exemple en mai dernier : les forces de Bachar al-Assad anéantissaient la synagogue Hanabi Eliyahou (Damas), la plus ancienne de Syrie.
Autre problème, l’occupation – tant par les forces régulières syriennes que par l’Etat islamique – de lieux historiques aux positions géographiquement intéressantes soit dominant les vieilles villes et les centres urbains. C’est ainsi que certaines fortifications (les citadelles de Homs, Hama, Alep, Palmyre…) ont repris pour un temps le rôle stratégique qu’elles assuraient à l’époque médiévale. Ce phénomène n’épargne pas les lieux de culte. La mosquée des Omeyyades d’Alep a elle aussi été réquisitionnée… En avril 2013, elle a vu son minaret s’effondrer. Rebelles et régime s’accusent mutuellement de la destruction. Même horreur du côté des musées avec celui de Maaret Al-Nouman et celui des Arts et Traditions populaires. Ces lieux, d’abord transformés en retranchements militaires par l’armée officielle, essuient dans un second temps des bombardements aériens. Notons encore la situation critique de Palmyre. Ce site gréco-romain au rang des plus splendides du monde s’est transformé en base militaire de l’armée régulière. Une brigade de snipers s’est installée sur le toit du musée pour mieux viser la ville. Des lance-roquettes ont été placés au pied des tours funéraires et les échanges d’artillerie auraient détruit des parties du célèbre temple du dieu Bel.
Troisième fléau : les fouilles clandestines et le pillage intensif. Sans faire dans la dentelle, les pilleurs se servent sur les sites archéologiques à ciel ouvert. Ils dévalisent également les musées qui ne sont pratiquement pas sécurisés. Les trésors aux abords des frontières constituent des cibles privilégiées. Une question de facilité. Les pièces archéologiques transitent aisément par la Turquie (reconnue pour ses frontières poreuses) puis sont rapatriées vers l’Occident avant que le marché de l’art s’en empare. Un trafic illicite très lucratif pour des négociants peu » regardants » qui écouleront en toute discrétion des statuettes de pierre, des vases en céramique, des éléments de mosaïque… Selon les douanes américaines, l’importation d’objets en provenance d’Irak et de Syrie a d’ailleurs augmenté de plus de 500 % ces deux dernières années !
Dans cette bataille contre la contrebande, l’Icom (le Conseil international des musées) s’est allié à Interpol et à l’Unesco. L’organisation a également mis en place une » liste rouge d’urgence des biens culturels syriens en péril « , un document public qui décrit les pièces les plus prisées sur le marché. Une quarantaine d’objets – qu’il est interdit d’exporter, d’importer ou de mettre en vente – sont expliqués et illustrés. Objectif ? Aider les officiers des douanes, les musées, les maisons de ventes aux enchères, les antiquaires, les collectionneurs de tous les pays à repérer ces antiquités » sensibles » susceptibles d’avoir été volées.
L’âme du pays
Si les autorités semblent relativement impuissantes, elles agissent néanmoins dans la préparation de l’après-conflit. Tous ont conscience de l’importance de cette phase de reconstruction. Le saccage de Beyrouth, en 1991, semble avoir servi d’exemple : une fois la guerre terminée, les bulldozers avaient déblayé les décombres de monuments historiques du centre-ville pour reconstruire un immense centre commercial. Hors de question que des villes comme Alep subissent pareille défiguration. Pour des populations déjà anéanties, l’entreprise de réparation du pays sera cruciale d’un point de vue psychologique. L’expérience de pays ayant subi les mêmes traumatismes montre que la destruction ou le pillage du patrimoine affecte énormément les populations. Cet héritage national est un facteur de cohésion sociale qui permet de renouer avec les symboles qui ont forgé son identité. En saccageant le passé, c’est aussi l’avenir d’un peuple qui est entaillé.
Par Gwennaëlle Gribaumont