La mémoire retrouvée
Indigènes opère avec force un nécessaire flash-back sur l’engagement de soldats venus des colonies françaises durant la Seconde Guerre mondiale
Les bonnes causes ne font pas forcément de bons films, et c’est avec un certain soulagement qu’on découvrit en mai dernier, au Festival de Cannes, cet Indigènes qui fait honneur au beau et nécessaire propos qui est le sien. Certes, Rachid Bouchareb n’est pas Stanley Kubrick, mais le réalisateur français de Cheb et Little Sénégal a su donner à son nouveau film la force visuelle qu’appelait un sujet assurément d’importance. La saga des soldats venus des colonies combattre l’Allemagne nazie sur un sol français que la plupart n’avait jamais foulé auparavant méritait d’être contée. Ils furent 130 000 à s’engager, au sud comme au nord du Sahara, et aucun film de fiction ambitieux n’avait jamais rappelé ce fait pourtant majeur. Indigènes vient combler ce manque navrant, du moins en ce qui concerne les soldats nord-africains. Et il le fait de façon assez percutante.
Le récit s’attache à quatre personnages principaux, Saïd, Abdelkader, Messaoud et Yassir, quatre fantassins endossant l’uniforme pour s’en aller lutter en Italie, en Provence, dans les Vosges et finalement en Alsace où nous les retrouverons seuls, chargés de la défense d’un village face à la contre-attaque ennemie. Jamel Debbouze, Samy Nacéri, Roschdy Zem et Sami Bouajila les incarnent avec une grande présence et une émotion palpable. Même si la crédibilité du premier cité souffre d’une invraisemblance physique (avec un seul bras valide, on se demande comment diable il a pu être engagé, et tirer avec son fusil), la prestation solide de ce quatuor fait beaucoup pour la réussite d’un film où le souffle humain transcende ce que le scénario pouvait avoir de parfois schématique.
Réaliste et poignant
Avec leur partenaire Bernard Blancan, lui aussi remarquable en sous-off’ rugueux mais juste, les vedettes maghrébines du cinéma français ont remporté, à Cannes, un prix d’interprétation collectif qui a encore donné plus de résonance au film. Et Indigènes de réussir son pari : évoquer une mémoire historique scandaleusement négligée, et le faire sur le mode du bon cinéma populaire, réaliste et poignant, avec ce qu’il faut d’action, de tension et d’héroïsme pour trouver le chemin du plus large public. En France, l’impact est assuré, avec des réactions parfois stupéfiantes, comme celle de politiciens feignant de découvrir l’injustice faite aux survivants dont la pension militaire est largement inférieure à celle des soldats du cru (elle fut » gelée » à l’indépendance des pays concernés)…
A nombre de Français d’origine immigrée ou d’étrangers venant des pays concernés et habitant en France, le film de Rachid Bouchareb vient apprendre ou rappeler un épisode glorieux mais aussi simplement humain, soulignant des attaches qu’un contexte actuel culturellement et socialement tendu ne saurait faire ignorer. Le débat qu’ Indigènes ne peut que susciter, au-delà d’une (prévisible) unanimité de façade dans sa célébration, devrait faire avancer un dialogue que remplace trop souvent aujourd’hui des monologues parallèles. Le pouvoir du cinéma, et même son devoir en certaines circonstances, est tel qu’il permet prise de conscience ou remise en question. Surtout lorsqu’ au premier degré du spectacle il ajoute -comme le fait Rachid Bouchareb – une vraie capacité à toucher simultanément l’inconscient collectif et la conscience de chacun.
Louis Danvers
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