Face aux images que nous renvoient les mille et un miroirs de l’actualité, nous avons en général le choix entre l’admiration, l’enthousiasme, l’indifférence, la consternation, l’indignation, la colère et le rire. Les occasions de ce dernier choix sont trop rares pour qu’on en laisse passer une. La récente marche des officiels de nombreux pays pour la défense du climat, dans les rues de New York, deux jours avant la réunion de l’Assemblée générale des Nations unies, sous les objectifs d’innombrables caméras, en fournit une. De fait, si elle a semblé provoquer l’enthousiasme de ceux qui y ont vu la volonté de ces dirigeants de prendre enfin en main ce sujet sérieux, elle a déclenché chez moi un immense éclat de rire, suivi d’une grande indignation.
Comment ne pas s’esclaffer, en effet, à voir ceux qui sont censés diriger le monde reconnaître involontairement leur impuissance en défilant, tout contents d’eux, avec d’autres militants ? Un peu comme si le PDG d’une société descendait dans la rue avec ses employés pour obtenir une amélioration de leurs conditions de travail ! Eclat de rire, en particulier, en regardant déambuler le secrétaire général des Nations unies, déguisé en manifestant, et des ministres visiblement très heureux d’être là, sans se rendre compte du ridicule d’une telle posture.
Rage, aussi, de les voir ainsi avouer qu’ils sont de moins en moins influents sur le destin du monde et ne sont qu’à l’affût de la moindre occasion de montrer leur visage satisfait sur les écrans de télévision, même au prix du discrédit de leur fonction. Rage, encore, de constater qu’aucun débat réellement sérieux n’a eu lieu à la tribune des Nations unies sur les grands problèmes que nous pose le climat, et qu’a rappelés, très clairement, le Premier ministre indien, Narendra Modi, cette même semaine, au nom de tous les pays émergents : » Ne nous demandez pas de renoncer à la croissance pour votre confort ; ne nous demandez pas de rester pauvres pour vous permettre de continuer à polluer. »
Naturellement, après la marche, cette réunion de l’Organisation des Nations unies n’a débouché sur aucune conclusion utile. Et, à ce rythme d’impréparation politique et de surenchère médiatique, il en ira de même, après tant d’autres, de la conférence de Paris, en décembre 2015.
Tous les diplomates sérieux le savent : on ne peut arriver à un accord sérieux sur aucun sujet quand on est plus de dix autour de la table et quand les négociations sont publiques, interdisant de ce fait tout compromis. Or, la conférence de Paris réunira près de 200 pays et 40 000 représentants d’ONG et de gouvernements ! Elle ne peut donc que déboucher sur un fiasco, camouflé, au mieux, en un accord de façade prévoyant de réduire les émissions de 30 % en 2050 – un accord qui sera d’autant plus audacieux que les ministres d’aujourd’hui ne seront sûrement plus en poste pour rendre compte, le moment venu, de leur démagogie…
Il serait urgent de comprendre que ce n’est pas une conférence internationale de plus qui réglera ces problèmes, mais une action de chaque pays, afin de concilier renforcement de la démocratie, croissance du PIB, réduction de la pauvreté et maîtrise des émissions de gaz à effet de serre. Cela passe par des réponses crédibles à quatre questions :
1. Quelles technologies révolutionnaires peuvent aider à atteindre de tels buts ?
2. Quelles forces ont intérêt à tout faire pour rendre impossible cette évolution, et comment les empêcher de nuire ?
3. Quels changements de mentalité peuvent concourir à la réussite de cette ambition ?
4. Plus généralement, comment faire en sorte que nos sociétés démocratiques prennent en charge les intérêts des générations suivantes ?
Pour répondre à ces interrogations, il faut d’abord arrêter de marcher et de chercher les caméras, puis réfléchir et agir.
par Jacques Attali