LA MARCHE DU KURDISTAN

La vérité est toute nue : en Syrie, comme en Irak, il faudra faire avec les Kurdes. Les modalités, en revanche, apparaissent revêtues de complexité – c’est tout l’enjeu de la bataille qui s’annonce pour la reconquête des deux  » capitales  » de l’Etat islamique, Raqqa (Syrie) et Mossoul (Irak). Dans la situation actuelle au Moyen-Orient, les Kurdes présentent trois caractéristiques très appréciables. Ils constituent la seule ethnie susceptible de combattre Daech de part et d’autre de la frontière entre la Syrie et l’Irak, ce qui leur confère en partie la même configuration géographique que l’Etat islamique et les rend directement opérationnels. Ils disposent d’organisations structurées (le parti PYD syrien, qui a mis sur pied une force armée conséquente, le YPG, ainsi que les peshmergas du Kurdistan irakien) et d’un territoire quasi indépendant, dirigé depuis Erbil (Irak), dans une zone qui est pourvue de ses propres ressources pétrolières. Ils ont remporté à ce jour plusieurs victoires contre Daech, symboliques ou décisives : à Kobané (janvier 2015) et à Tal Abyad (juin 2015), dans le nord de la Syrie, à Sinjar (novembre 2015), dans le nord de l’Irak.

Depuis le début du conflit syrien, les Kurdes n’ont cessé de s’imposer comme un élément clé de la stratégie américaine contre Daech. En sus des livraisons d’armes qu’ils effectuent, des forces spéciales présentes sur place et du soutien financier qu’ils apportent, les Etats-Unis ont dépêché à Kobané l’envoyé spécial du président Obama Brett McGurk, en février dernier. La carte kurde est jugée cruciale à Washington, d’autant plus que, après l’effondrement des forces d’opposition syriennes dû au pilonnage des Russes, cette composante du conflit représente un appui terrestre indispensable. Quant à l’Irak, où l’aviation américaine et la coalition effectuent les deux tiers de leurs frappes, le soutien des Kurdes y est encore plus déterminant dans la perspective de la bataille de Mossoul.

Cette alliance, fondée sur la realpolitik, hérisse la Turquie, où vivent de 12 à 15 millions de Kurdes, dont l’organisation principale, le PKK, est en guerre ouverte avec le gouvernement d’Ankara et continue d’être rangée parmi les mouvements terroristes par les Etats-Unis et l’Union européenne. On n’en est plus à une contradiction près… Le cauchemar de la Turquie est évidemment de voir un Etat kurde se créer de facto en Syrie, ce qui aurait des répercussions immédiates sur son propre sol. En 1920, le traité de Sèvres, qui démembrait l’Empire ottoman, avait prévu la création d’une entité kurde ; le traité de Lausanne (1923) mit fin à ce rêve éphémère. Or, cet espoir renaît aujourd’hui dans les décombres de la Syrie. Recep Tayyip Erdogan est déchaîné contre la ligne adoptée par les Etats-Unis.

Mais les Kurdes, qui tiennent désormais les trois quarts de la frontière syro-turque, font aussi bien le jeu des Russes. Vladimir Poutine voit dans la montée en force des Kurdes un excellent moyen d’exaspérer la Turquie, coupable d’avoir abattu un avion russe. En échange, le PYD, principale formation kurde de Syrie, attend de Moscou une attitude compréhensive à l’égard de ses velléités d’autonomie. Dans cette configuration, le PYD entretient avec Damas des relations pour le moins ambiguës, ce que montre une certaine mansuétude du dictateur syrien, prêt à tout pour réduire l’emprise sur le terrain de ses opposants directs. Mais il y aura un prix. Le 17 mars, les Kurdes de Syrie ont proclamé une entité  » fédérale démocratique  » pour pousser leur avantage. Ils ont enclenché une dynamique qui accélère le morcellement du Moyen-Orient.

christian makarian

Les Kurdes n’ont cessé de s’imposer comme un élément clé de la stratégie américaine contre Daech

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