La multinationale minière belge Nyrstar a suspendu ses activités sur le site de Campo Morado dans l’Etat mexicain du Guerrero. Officiellement en raison de l’insécurité causée par les narcotrafiquants. Mais les revendications sociales de ses employés pourraient être la vraie motivation.
Dans la mine de Los Filos, entre les villages de Mezcala et Carrizalillo, les gigantesques pales mécaniques exhument chaque jour des milliers de tonnes du ventre béant de la colline. Ici, la multinationale minière canadienne Goldcorp, leader du continent américain, a commencé en 2007 l’exploitation de la plus grande réserve de minerais connue d’Amérique latine et la plus importante mine d’or du Mexique. L’entreprise prévoit d’extraire dans les 20 prochaines années près de 7 millions d’onces d’or (environ 200 tonnes).
A Mezcala, le village situé au pied de la mine, une femme membre du syndicat national des mineurs nous reçoit en catimini. » Etes-vous des activistes ? » demande-t-elle sans détour. » Parce que si vous êtes des activistes, vous êtes en danger. » Elle nous prévient encore : » Aucun représentant syndical ne va parler, tout le monde a peur. » Le 13 mars dernier, trois employés de la mine ont été retrouvés assassinés dans une fosse clandestine à cinq kilomètres du village. Les corps montraient des traces de torture. Les mineurs avaient disparu la semaine précédente alors qu’ils sortaient de leur lieu de travail dans leur véhicule. Un quatrième a été libéré après que la famille eut payé une rançon. Goldcorp a décliné toute responsabilité : » Les employés ne se trouvaient pas dans la mine ou dans un véhicule de la mine au moment de l’incident « , a déclaré la porte-parole Christine Marks. » C’est surtout dangereux pour ceux qui travaillent de 14 heures à 23 heures « , précise l’employée de Goldcorp. La mine fonctionne en trois rotations, jour et nuit, tous les jours de la semaine.
» Les opérations minières au Guerrero, soutient fièrement Mike Harvey, directeur des affaires pour Goldcorp Amérique latine, sont un facteur important de stabilité sociale. » Goldcorp, qui n’est pas autorisée à se doter d’une sécurité privée, paie les services de la police fédérale pour assurer la protection des infrastructures. Une mesure qui ne satisfait pas pleinement les travailleurs : » Ils ont promis que la protection fédérale était pour tout le monde, mais c’est seulement pour eux « , se désole la syndicaliste.
Elle reçoit un coup de fil, un chauffeur de la mine a retrouvé son frère mort, enlevé quinze jours plus tôt. La famille avait pourtant payé la rançon. La femme demeure pensive. » Nous nous sentons abandonnés. » Quand nous la quittons, la syndicaliste demande à rester anonyme, faisant glisser son pouce le long de sa gorge, signe de ce qui pourrait lui arriver si son nom venait à être publié. A Los Filos, la loi du silence est d’or.
» La mine est extrêmement déprédatrice »
Goldcorp met en avant son comportement » socialement responsable » et sa conformité aux normes de sécurité humaine et environnementale mexicaines. Or, déplore un membre du commissariat aux biens communaux, en charge des ejidos (les terres de la communauté), celles-ci sont très laxistes. » Nous demandons une responsabilité sociale un peu meilleure que les entreprises mexicaines. » En effet, » la mine est extrêmement déprédatrice, prévient-il, parce qu’elle est à ciel ouvert « . Goldcorp utilise un procédé dit de lixiaviation, qui consiste à arroser en permanence la terre extraite d’un mélange d’eau et de cyanure pour dissoudre l’or. Les espèces endémiques d’arbres, d’oiseaux et de mammifères ont déserté la montagne, dont l’eau, selon lui, est contaminée par le plomb et le cyanure. Dans la mine de Los Filos, où les coûts d’extraction sont parmi les moins chers du monde, il faut extraire en moyenne 1,5 à 2 tonnes de terre de la montagne pour obtenir un gramme d’or. » Nous bénéficions de la mine, reconnaît volontiers le représentant communautaire, mais nous demandons qu’ils investissent dans l’environnement. »
Il y a tout juste un an, un conflit entre Goldcorp et les ejidatarios (les propriétaires des parcelles qui louent à la mine l’usage du sol) du village de Carrizalillo a mené au blocage de la mine pendant près de 100 jours, afin de réclamer des infrastructures pour préserver l’environnement et l’accès à l’eau potable pour les habitants et un plan de reforestation. Les propriétaires des 1 400 hectares exploités par l’entreprise réclamaient également la renégociation des prix dérisoires des concessions octroyés par l’entreprise en 2007, et ont reçu satisfaction.
Un si soudain afflux de richesse a aiguisé les appétits des groupes criminels de la région. Le 27 mars, à l’approche du paiement de l’usage du sol par l’entreprise à la communauté, un groupe d’une dizaine de personnes armées a fait feu dans un commerce du village de Carrizalillo, tuant trois personnes, dont une femme de 80 ans. Depuis, les armes n’ont cessé de parler dans les villages miniers. Des habitants de Carrizalillo ont dénoncé une tentative d’intimidation des ejidatarios, à qui les cartels demandent entre 40 000 et 100 000 pesos de » coopération « . Le 7 avril, l’un d’entre eux a été enlevé. Beaucoup ont fui le village. Ils ont également déclaré que » la mine » devait payer un million de pesos chaque année aux narcotrafiquants. L’entreprise a énergiquement démenti.
» Les groupes délinquants demandent un impôt chaque année, lâche le représentant communautaire de Mezcala. En espèces ou en nature. Avant, nous devions payer un seul cartel, qui était maître de la zone. Maintenant, plusieurs se disputent le territoire, se désole-t-il. Des habitants de Carrizalillo ont déposé devant les autorités une demande officielle pour se procurer des armes et former une police communautaire. »
» Nous ne faisons pas ce genre de choses »
A 30 km au nord sur la » ceinture d’or » du Guerrero, dans la municipalité de Cocula (où, selon les autorités, 43 étudiants ont été brûlés dans une décharge par des membres du cartel des Guerreros unidos en septembre 2014), la mine d’or de Media Luna, concédée à la multinationale canadienne Torex Gold, a débuté l’exploration de 630 hectares de sous-sol en 2012, sur les rives du fleuve Rio Balsas.
Ici aussi, l’arrivée des multinationales étrangères a ouvert la boîte de Pandore. Le 6 février, treize personnes ont été enlevées à la sortie de la mine par une trentaine d’hommes armés. Plusieurs dizaines d’hommes des villages voisins ont alors décidé de s’opposer aux délinquants dans un affrontement qui a fait plusieurs blessés. En l’absence d’intervention policière, la réaction de la police communautaire a été décisive.
L’entreprise a nié la présence d’employés de la mine parmi les victimes avant de revenir sur sa déclaration et de reconnaître qu’un employé de Torex se trouvait aux mains des ravisseurs. Les autres victimes sont en contrat avec des sous-traitants. Mais pour Gabriella Sanchez, la vice-présidente des relations avec les investisseurs, ces événements ne sont pas liés à la présence de la mine. » Beaucoup de gens pensent que si nous ne sommes pas touchés par ce type de vandalisme, c’est parce que nous payons une « protection » (aux narcotrafiquants). Les locaux ont l’habitude de payer. Ils nous ont donc conseillé de le faire. Nous avons refusé. Parce que nous sommes une entreprise canadienne, nous ne faisons pas ce genre de choses. »
Insécurité ou conflit social ?
Parmi les personnes enlevées le 6 février à Nuevo Balsas, Juan Luis Ramírez Cázares, un mineur de 35 ans originaire du Silanoa, a déclaré travailler pour l’entreprise Nyrstar, qui preste ses services à Media Luna. Nyrstar exploite depuis 2009 le site aurifère (et très riche en zinc) d’Arcelia dans la municipalité de Campo Morado, à quelques kilomètres à l’ouest de Media Luna, après avoir fait l’acquisition de Farallón Resources Ltd (pour un montant 409 millions de pesos), propriétaire des six concessions minières qui s’étendent sur 12 000 hectares. L’entreprise belge a décidé de fermer son site le 25 janvier, » par mesure de précaution devant la détérioration des conditions de sécurité dans l’Etat de Guerrero « .
Le geste paraît magnanime de la part de la multinationale, qui veille également farouchement à son image. Pourtant, des voix s’élèvent de Campo Morado pour dénoncer une manoeuvre de la part de Nyrstar pour échapper à ses engagements auprès des travailleurs et des autorités. En effet, le Secrétaire du développement économique au Guerrero, Enrique Castro Soto, a précisé que Nyrstar n’a jamais dénoncé auprès de l’Etat des menaces ou attaques de la part de la délinquance organisée.
La fermeture a été décidée alors qu’un conflit social oppose depuis plusieurs mois les travailleurs à l’entreprise. En février, 600 mineurs syndiqués ont bloqué l’entrée de la mine pendant plusieurs semaines après une grève qui durait depuis novembre. L’entreprise a cessé tout paiement des transporteurs depuis octobre 2014, accumulant une dette de 14 millions de pesos. Une situation que la sénatrice Iris Vianey Mendoza a dénoncée devant le secrétariat de gouvernement. Déjà, Nyrstar avait dû interrompre ses activités en 2013, parce que l’entreprise n’avait pas actualisé son permis pour continuer l’exploitation de la zone après le rachat de Farallón. Une manoeuvre qui lui avait permis de se soustraire aux impôts sur la vente et la valeur ajoutée.
Les travailleurs réclament en outre la révision des tarifs de transport et d’équipement, ainsi que des salaires, gelés depuis 2006. Les habitants, appuyés par des associations locales, dénoncent également l’occupation illégale des terres pour installer les bureaux de la compagnie, la pollution du Rio Balsas, et la déviation de nappes phréatiques pour les activités de la mine qui aurait privé d’eau plusieurs villages voisins. Le dirigeant syndical, Ramiro Pineda Velázquez, a déclaré regretter que » la stabilité économique de près de 25 villages voisins, qui bénéficiaient de manière directe ou indirecte du travail de la mine « , soit mise en péril par l’intransigeance des dirigeants de l’entreprise Nyrstar, qui continuent de » rester sourd » à leurs requêtes. A nos demandes d’éclaircissement, Nyrstar est restée silencieuse.
Par Benjamin Fernandez
Un si soudain afflux de richesse a aiguisé les appétits des groupes criminels de la région