Failles de la sécurité informatique, coûts exorbitants du personnel, manque de transparence : un audit de la Cour des comptes va démolir la Creg, régulateur fédéral de l’énergie. Sa présidente, l’influente Marie-Pierre Fauconnier, tente d’en atténuer la dureté. Le Vif/L’Express s’est procuré ses remarques.
La Cour des comptes se prépare à publier un rapport peu enthousiaste à l’égard du régulateur fédéral de l’énergie, la Creg. La presse, d’abord L’Echo puis Le Vif/L’Express, a déjà fait état des conclusions, plutôt dépréciatives, de la première version, bouclée l’été dernier, de ce rapport d’audit mené de novembre 2014 à juin 2015. Un, le régulateur fédéral coûte près de quatre fois plus cher que ses équivalents wallon (Cwape) et flamand (Vreg) alors même que le secteur a été très largement régionalisé – la Creg n’a en fait plus de pouvoir que sur deux sociétés, Elia et Fluxys. Deux, la Chambre des représentants, censée contrôler la gestion de la Creg, n’a que peu de prise sur l’organe fédéral. Et trois, la politique du personnel y est plutôt opaque. Le Vif/L’Express s’était ému de recrutements ouverts sans annonce publique, donc avec un seul candidat ou sans examen d’embauche. La compagne du ministre de tutelle, Melchior Wathelet (CDH), alors porte-parole de son secrétaire d’Etat de conjoint, avait ainsi été recrutée par la Creg, non sans émouvoir certains de ses nouveaux collègues… et les limiers de la Cour des comptes.
Mais ce rapport largement médiatisé n’était, et n’est toujours, qu’intermédiaire. Car la Cour des comptes travaille de manière multilatérale, et ses audits ne sont définitifs que lorsque l’institution disséquée et la Cour se sont mises d’accord. En l’occurrence, ici, deux voix sont habilitées à contester les conclusions de la Cour. Le cabinet de la ministre Marghem, d’abord, qui ne semble pas marquer un grand intérêt sur la question. Et la direction de la Creg, ensuite et surtout, qui pourrait légitimement s’inquiéter de se voir ainsi épinglée par un réviseur à la probité reconnue. Le dossier prend ici une tournure politique, dès lors que la présidente de la Creg, l’ancienne patronne de la division Energie du Service public fédéral Economie et ancienne présidente du régulateur bruxellois de l’énergie, Marie-Pierre Fauconnier, est partiellement mise en cause par l’audit, dont elle doit tenter d’atténuer la fermeté des conclusions. Etiquetée socialiste, réputée très proche de Laurette Onkelinx, dont elle a été cheffe de cabinet adjointe sous le gouvernement arc-en-ciel, Marie-Pierre Fauconnier a eu le temps de s’aliéner une série d’ennemis dans les secteurs, public et privé, de l’énergie. C’est dans ce contexte que Le Vif/L’Express a obtenu les remarques qu’elle a formulées à la Cour des comptes en vue d’infléchir ses conclusions, ainsi que les modifications opérées ou non en fonction. Les unes et les autres donnent une idée des préoccupations de la présidente, d’une part, et de son influence, de l’autre.
Ses interventions portent sur cinq questions.
1. Des détachements litigieux
Plusieurs membres du personnel sont détachés dans des cabinets politiques, dont un au cabinet de la ministre fédérale de l’Energie Marie-Christine Marghem et un autre chez le ministre de l’Intérieur Jan Jambon. Or, la Creg doit être indépendante de l’autorité politique. » Ces détachements ne nuisent pas à l’indépendance de la Creg, et ils favorisent l’échange d’informations entre le régulateur et les cabinets concernés « , rétorquait, peu convaincante, la direction de la Creg dans le premier rapport de la Cour des comptes. Après discussion entre Marie-Pierre Fauconnier et le premier président de la Cour, Philippe Rolland, ce paragraphe devrait être effacé.
2. Des rencontres en solitaire
Marie-Pierre Fauconnier rencontre certes fréquemment les responsables d’Elia et Fluxys, ces opérateurs qu’elle doit réguler. Mais elle n’en fait pas suffisamment rapport à ses subordonnés, et ne leur annonce pas systématiquement, ce qui peut mener à » des incompréhensions, et à de la méfiance en interne « , dit la Cour. Cette rude formulation ne devrait, selon nos informations, pas être modifiée.
3. Un Parlement sans contrôle
La Cour des comptes ainsi qu’un réviseur contrôlent les dépenses de la Creg. Mais cette dimension financière exceptée, déplore la Cour des comptes, le régulateur fédéral de l’énergie n’est jamais évalué en externe : » La Chambre des représentants, en tant qu’autorité de surveillance, ne dispose cependant pas d’informations suffisantes quant au niveau d’exécution des missions légales, de l’atteinte des objectifs légaux et de l’incidence des activités de la Creg « , explique rudement le premier rapport. La présidente de la Creg n’a pas pu, selon les différentes versions intermédiaires qui ont été livrées au Vif/L’Express, faire tomber ces dures incriminations.
4. Des failles dans la sécurité informatique
La Creg dispose, pour accomplir ses missions, de données stratégiques sur un secteur qui ne l’est pas moins. Son système informatique doit à ce titre satisfaire à des exigences de sécurité très strictes. Or, fin 2014, un audit exécuté par une société spécialisée pointait des failles dans l’intranet de l’institution, qui ne recevait qu’un quatre sur dix, exposant le système à des hackers. Un investissement de 50 000 euros est programmé sur 2015 et 2016 pour remédier à ces manquements. Sans doute parce que ce paragraphe, trop précis, pouvait donner des munitions à des potentiels pirates dès lors que la sécurisation du système ne serait pas complète avant l’an prochain, le premier président de la Cour a accepté de largement expurger ces lignes de leur potentiel explosif. Que le rapport ne le relève plus tant ne le fait pas disparaître pour autant.
5. Des coûts numéraires et des risques numériques
Dans la conclusion générale, quelques lignes avaient indisposé Marie-Pierre Fauconnier. Elles portent respectivement sur les coûts de personnel et sur la sécurité informatique. » Le coût du personnel moyen, qui représente 80 % du budget de la Creg, est supérieur à celui des régulateurs régionaux, ce qui laisse une marge de manoeuvre trop petite pour les autres frais de fonctionnement. Un audit de sécurité, fin 2014, a mis en lumière une série de risques sur les réseaux informatiques externe et interne. Le risque a été limité, mais le règlement de certaines failles importantes ne sera définitif qu’en 2016 « , avance le rapport. Le premier président de la Cour devrait maintenir intactes les récriminations relatives aux coûts du personnel. Mais celles pointant l’insécurité informatique, elles, devraient être remplacées par un très vague : » La Creg s’efforce actuellement d’optimiser son fonctionnement informatique. »
A la Creg comme à la Cour des comptes, on se refuse à commenter les conclusions d’un rapport qui ne sera officiellement terminé que dans les prochaines semaines. Que la présidente de la première n’ait que peu infléchi le premier président de la seconde démontre l’indépendance de celle-ci. Et confirme les manquements de celle-là.
Par Nicolas De Decker
Le régulateur fédéral coûte près de quatre fois plus cher que ses équivalents wallon et flamand