La haute société, mode d’emploi

Paternaliste et proche de la monarchie, le club restreint des nantis se porte bien, merci. Opportu- niste et intelligente, la vieille noblesse a su, dès le xixe siècle, s’allier à la meilleure bourgeoisie pour redorer son blason. Ce que les capitaines d’industrie et autres faiseurs de fortunes, en quête de légitimité, ont rarement refusé. Cette convergence d’intérêts fait les beaux jours du gratin du gratin, pour le plus grand plaisir des accros de Place royale ou de Sagas. Enquête dans un monde de luxe, de couloirs feutrés et de châteaux oubliés qui aime la discrétion

Une fin d’après-midi qui s’éternise, ensoleillée, paresseuse, à un jet de pierre du casino de Monte-Carlo : devant un de ces palaces qui font le décor de la principauté, quelques dizaines de Monégasques, de touristes et de curieux se sont regroupés. Le tapis rouge rappelle que Caroline de Monaco, princesse de Hanovre, remet traditionnellement, en cette soirée d’avril, le prix de la presse de la fondation Amade (Association mondiale des amis de l’enfance), créée par sa mère, la princesse Grace, dans la plus pure tradition caritative de la haute société. C’est vrai que le spectacle vaut le détour, avec ses hommes en smoking noir, chemise blanche au col cassé, n£ud pap et boutons de manchette ; ses femmes en robes haute couture, plus classe les unes que les autres. Même à Monaco, paradis des joailliers et des boutiques de luxe, où il est commun le soir de se promener en long, ce gala de bienfaisance, clôturant le conseil d’administration annuel de la fondation, se distingue par un petit quelque chose qui rappelle Sissi, l’impératrice d’Autriche.  » Ce faste choque alors que l’Amade s’occupe des plus pauvres de la planète, commente une journaliste habituée à ce genre de mondanités. Mais c’est toujours ainsi. Et l’argent de tous ces riches trouve quand même ainsi une utilité.  » La soirée est orchestrée par Jacques Danois, écrivain d’origine belge et ancien grand reporter de RTL, par ailleurs vice-président de l’Amade. Parmi les lots mis aux enchères, une sculpture de Folon, mais aussi des dons des familles royales européennes, notamment de Belgique. A la table de la presse, la journaliste de Paris-Match ne tarit pas d’éloges sur la princesse Mathilde qu’elle a eu l’occasion de rencontrer.

C’est ce genre de soirées que l’on retrouve en quadrichromie dans les pages mondaines de magazines comme Point de Vue ou L’Eventail,  » la  » revue de la haute société belge qui permet de savoir  » où ça se passe  » et  » qui en est « . Dans le dernier numéro de cette publication, trustée par les noms à particule, on apprend que Delphine Boël, fille illégitime d’Albert II, a assisté à l’inauguration d’une nouvelle boutique de l’avenue Louise, à Bruxelles, ou que Mathilde était présente, au côté de la grande-duchesse Maria-Teresa de Luxembourg et du ministre Marc Verwilghen, au 3e Gala européen pour les victimes des mines antipersonnel, à l’hôtel Plaza, dans le centre de la capitale. Les petites annonces de L’Eventail sont tout aussi importantes pour ne pas manquer, le 10 septembre prochain, la soirée aux Jeux d’Hiver, cette discothèque fréquentée par des jeunes de la haute, enfoncée dans le bois de la Cambre, ou, le 3 décembre, un autre gala au profit de l’enfance défavorisée en Roumanie, dans les salons du Conrad, toujours avenue Louise.

En outre, L’Eventail immobilier lève un coin du voile sur l’intimité de la haute, avec ses propriétés ou hôtels particuliers en vente à la Côte d’Azur, l’endroit où il faut être en juillet, ses villas ou appartements au Zoute,  » le  » rendez-vous d’août, ses châteaux de campagne, ses hôtels de maître, ses demeures de caractère ou autres  » spectaculaires penthouses  » à Rhode-Saint-Genèse, Waterloo, Lasne, Ohain, Grez-Doiceau (près du golf du Bercuit), Uccle, Woluwe-Saint-Pierre, plus chic que Woluwe-Saint-Lambert, ou, évidemment, au square du Bois, surnommé le square des milliardaires, clos privé et sécurisé entre le bois de la Cambre et l’avenue Louise.

En effet, formés dans les mêmes institutions, partageant les mêmes valeurs, se mariant entre eux et fréquentant les mêmes milieux, les membres de la haute société évoluent dans un monde parallèle à celui du commun des mortels, fait de codes et d’usages pour initiés. Bien sûr, certains d’entre eux sont, parmi nous,  » incognito « . Notre future reine n’a-t-elle pas travaillé, avant son mariage, comme logopède à l’école primaire Sainte-Jeanne de Chantal, à Woluwe-Saint-Lambert, et à l’école fondamentale Sainte-Marie, à Schaerbeek ? C’est d’ailleurs le souci de la plus haute société d’apprendre à ses enfants à frayer avec tout le monde en ne faisant étalage d’aucun de ses titres. Evidemment, quelques-uns de ses membres nous semblent familiers à force de paraître sur le petit écran : qui n’a pas été frappé par l’élégance du comte Jean-Pierre de Launoit, président du Concours Reine Elisabeth, la manifestation sans doute la plus courue quand on fait partie de cette élite dont il est l’un des parangons ?

Mais, fondamentalement, la haute ne s’en caractérise pas moins par le privilège de hanter des lieux inaccessibles à Monsieur Tout-le-Monde. Ils sont peu nombreux, quelques milliers tout au plus, à pouvoir se vanter d’être membres du Cercle royal du Parc, le long des étangs d’Ixelles, fermé aux non-nobles, du Club international du château Saint-Anne, composé majoritairement de hauts fonctionnaires européens, du Cercle royal gaulois artistique et littéraire, lové dans le parc de Bruxelles, interdit aux femmes. Ou encore du Cercle de Lorraine, créé en 1998 à Uccle, dans l’ancien château du maréchal Mobutu, le Fond’Roy, qui a conservé la salle à manger africaine de l’ex-maître des lieux, possède l’une des plus belles terrasses de Bruxelles ainsi qu’une charmante peinture de Paola, jeune princesse. Pour faire partie de ce cercle de rencontres et d’affaires (mais il serait du plus mauvais goût d’y signer un contrat), il faut, en plus d’une cotisation annuelle d’environ 1 100 euros, avoir été retenu par un comité de ballottage, sur la base du chiffre de sa société ou de ses qualités reconnues en tant que diplomate, titulaire d’une profession libérale, etc.

Se trouver dans le High Life de Belgique, surnommé le  » snob book « , et, plus encore, dans le Carnet mondain n’est pas davantage à la portée de tous. Ces annuaires reprennent les coordonnées de 13 000 à 14 000 ménages. Il faut être parrainé par plusieurs familles non apparentées pour avoir une chance d’y entrer et verser des droits d’inscription de 125 à 800 euros, pour le High Life, ou, pour le Carnet mondain, commander régulièrement des exemplaires (de 20 à 77 euros selon les types de reliure et de présentation). Ces  » heureux privilégiés  » ne peuvent pas pour autant se targuer de faire partie de la haute. Le gratin du gratin ne compterait pas plus de 5 000 membres en Belgique, selon Valérie d’Alkemade (de Roest d’Alkemade Oem de Moesenbroeck, selon le Carnet mondain), sociologue à l’ULB, auteur de La Haute (Racine). Qui sont-ils ?

Dorothée Klein

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