Le temps du monopole du centre-ville semble révolu. Face à la demande croissante, des communes périphériques commencent à développer leur offre, misant sur la modernité et l’accessibilité. Pour éviter la désertion à Liège, il faudra passer par un accord politique. Compliqué !
Mutualité libérale : – 600 mètres carrés. PwC : – 900 m². Uteron Pharma : – 851 m². Deloitte : – 1 825 m². Moins récemment, on pourrait encore ajouter Logistics in Wallonia, ING, Electrabel, DTZ, la Chambre de commerce et d’industrie Liège-Verviers-Namur ou le cabinet d’avocat BBRV. Soit une addition de plus de 7 400 m² de bureaux désertés depuis 2009 par ces entreprises dans le centre-ville de Liège au profit de la périphérie.
La liste n’est point exhaustive. Tout comme il en existe sans doute une de nouveaux locataires. En Cité ardente, la demande est forte et l’offre restreinte. Le taux de vacance reste extrêmement bas : entre 0,6 % et 2 % selon les sources, alors qu’il est estimé à 7 % dans un marché sain. L’arrondissement de Liège, premier marché de bureaux en Wallonie, comptabilise une superficie de 550 000 m2, dont 485 000 en ville. Celle-ci conserve donc largement le leadership. Pour le moment.
Car les déménagements évoqués plus haut semblent relever plus de la lame de fond que de cas isolés. » Sans pouvoir dévoiler de noms, nous travaillons activement avec de nombreux occupants de bureaux situés sur le territoire de la ville dans une optique de relocalisation. Si l’on totalise les superficies concernées, nous obtenons quelque 30 000 m², soit environ 1 500 postes de travail « , assure Pierre Badot, directeur pour la Wallonie chez DTZ, agence spécialisée dans l’immobilier d’entreprise.
Grâce-Hollogne mène la fronde
Cela tombe bien : certaines communes limitrophes ne demandent pas mieux que d’organiser la concurrence. A commencer par Grâce-Hollogne, terre d’accueil de Liège Airport. Pour diversifier ses revenus issus de l’aéronautique, l’aéroport mise beaucoup sur l’immobilier. Il a inauguré, en septembre, des espaces de bureaux (668 m²) construits au-dessus des commerces dans son terminal passagers. Ceux-ci viennent s’ajouter aux immeubles bien plus vastes B50 et B17, tous deux quasi complets. La construction d’un B17-bis est programmée dans l’année. Le potentiel foncier étant encore grand, Bierset ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin.
Avec son projet Cristal Park, Seraing ne prévoit pas seulement du logement, une zone de loisirs et un centre commercial, mais aussi de 15 000 à 18 000 m² de bureaux. Ans se positionne également, avec l’Office Park d’Alleur, où se sont déjà installées Deloitte et CMI Defence. Encore plus près de la ville, une zone d’activité économique de 40 000 m² est prévue à côté de la nouvelle clinique du MontLégia, en cours de construction. Enfin, Herstal aussi joue des coudes. Un bâtiment de 6 000 m² est envisagé près de l’usine de traitements de déchets Uvelia.
Toutes ces localisations ont en commun de se trouver à un jet de pierre de l’autoroute. Ce qui attire fortement les firmes accros à la voiture de société et allergiques aux embouteillages. Mais aussi celles qui cherchent à être vues. » Ce qui joue en faveur de la périphérie, c’est l’effet vitrine, le fait d’être visible depuis l’autoroute. Plus que l’accessibilité car, parfois, il faut 7-8 minutes depuis la sortie pour accéder au bâtiment « , observe Guénaël Devillet, directeur du Segefa (Service d’étude en géographie économique de l’université de Liège).
Quitte à payer plus cher : le loyer moyen hors centre est estimé à 140 euros/m²/an, contre 125 en ville. La qualité du bâti explique la différence. Les immeubles liégeois sont anciens (deux sur dix ont moins de 5 ans) et par conséquent, peu équipés des dernières technologies, dépourvus de services, énergivores, avec des espaces cloisonnés alors que la tendance est plutôt à l’open space.
S’il paraît que les édiles liégeois grincent des dents face à cette concurrence, la Cité ardente a des projets sous le coude. Les plus avancés sont ceux du Cadran (E-Lyge, 1 500 m²) et du groupe Circus face aux Guillemins, qui ont chacun obtenu un permis. D’autres immeubles devraient suivre dans le quartier de la gare, qui cumule l’avantage d’être situé à une sortie d’autoroute : esplanade au pied de la nouvelle tour des finances par Befimmo (appel d’offres en cours) et » Plan incliné » porté par la SNCB (qui semble au point mort). Quant au dossier du boulevard de la Sauvenière, en lieu et place de l’ancien siège du journal La Meuse, il reste encore imprécis.
Il y aura également des bureaux au Val Benoît, ancien site universitaire en cours de réhabilitation, ainsi qu’au Mont Saint-Martin, voire à Coronmeuse. On en parle également à Bavière et à Droixhe mais, vu la lenteur à laquelle ces dossiers avancent, les promoteurs ont intérêt à ne pas être pressés. » Liège a un potentiel. De par sa localisation, son dynamisme économique, l’énergie de ses capitaines d’industrie, ses pôles de connaissance. Mais elle s’est montrée trop frileuse, critique Pierre Badot. Elle ne se donne pas les moyens d’être la capitale économique de la Wallonie. »
La crainte d’une suroffre
» Il ne faut pas oublier qu’à une époque, la Ville n’était pas attractive en termes de gouvernance. Les promoteurs ne se pressaient pas au portillon, rappelle son bourgmestre, Willy Demeyer (PS). Nous sommes ouverts aux bons projets. Des surfaces disponibles, il y en a encore tant qu’on veut. Il ne faut pas non plus exclure un développement en hauteur. »
A la demande du cabinet Marcourt (PS), la Spi (agence de développement économique de la province) a récemment réalisé une étude qui estime le manque actuel à 40 000 m², dans le centre comme en périphérie. » Les projets publics et privés couvrent les besoins à courte et à moyenne échéance, voire les dépassent légèrement « , pointe Marilena Cassotti, directrice adjointe du pôle socio-économique.
Ce qui laisse ressurgir la crainte d’une suroffre. » Dans ce cas, des immeubles risqueraient d’être abandonnés et de retomber dans le collectif. Comme pour le commerce, ce serait au public de compenser un problème causé par le privé « , analyse Guénaël Devillet. D’où l’intérêt de trouver un bon équilibre entre communes. » Les implantations à l’extérieur doivent être thématiques, plaide Willy Demeyer. Il faut discuter de cela dans le cadre de la supracommunalité qui se met en place à l’échelle de la province et de l’agglomération. »
» Il faut donner la priorité à la Ville « , abonde Jean-Claude Marcourt, ministre de l’Economie. Qui souhaite réfléchir à la mise en place d’une structure, d’un accord qui donnerait un cadre général à respecter. » Trop longtemps, on a étalé l’habitat. Il faut le densifier à nouveau et ramener des fonctions au centre urbain, au lieu de tout mettre n’importe où. »
Encore faut-il savoir comment se répartir les parts du gâteau de bureaux. » Il n’y a pas de chiffrage arrêté mais on me dirait trois quarts Ville, un quart périphérie que je ne serais pas choqué. » Les communes alentours s’en contenteraient-elles ? On pourrait croire que la même appartenance politique de leurs bourgmestres faciliterait un accord. Mais il paraît au contraire que cela rend les négociations parfois plus compliquées…
Par Mélanie Geelkens