La folie Diddl

La petite souris rondelette, chouchou des fillettes, fête ses 15 ans. Un record de longévité dans l’univers du jouet. qui repose avant tout sur une excellente recette marketing. Décryptage, à l’usage de parents ignares ou sceptiques

Tous les matins, Isabelle, 10 ans, trépigne d’impatience avant d’aller à l’école. Sa mère n’en revient pas. Une soudaine vocation se serait-elle déclenchée chez cette élève espiègle et pas franchement bûcheuse ? Vous n’y êtes pas du tout. Isabelle sait qu’à 8 h 20, avant même la première sonnerie, se déchaîne dans la cour de récré la première foire aux Diddl de la journée. Alors, elle glisse entre deux cahiers quelques  » doublons  » de sa collection personnelle – une petite boîte de métal rose bonbon, du papier à lettres et deux peluches Diddl au sourire un peu mièvre – qu’elle compte bien troquer contre d’autres pièces convoitées.

 » Tu y comprends quelque chose, toi, à Diddl ?  » De l’autre côté des grilles de l’école, les parents assistent, perplexes, à cette déferlante de passion effrénée. Depuis sept ans maintenant, la petite souris grignote le budget des familles à coups de taille-crayons, de cadres photo, de carnets secrets et autres. Et, quand nos rejetons nous supplient de leur acheter un  » Diddeul « , leur appel est teinté d’un désir tellement puissant, d’un amour si débordant qu’il devient difficile de ne pas délier les cordons de la bourse.

Subtile alchimie que celle de ce doudou gentillet, au ventre rond et aux grandes oreilles, qui conquiert les petits et fait inévitablement fléchir les parents… La recette du succès ? Un bon flair, un brin de psychologie enfantine et quelques excellentes ficelles commerciales.  » Diddl est un exemple parfait de marketing viral « , analyse Anne Doumac, consultante chez Junior City, une agence spécialisée dans le marketing du jouet.  » La Diddlmania, poursuit-elle, repose sur trois grands principes : la rareté, le secret et le bouche-à-oreille, ou buzz marketing.  » Explications. La rareté, tout d’abord : les collections ne sont jamais reconduites d’année en année. En 2003, il y a eu 220 nouveautés, et 330 l’année suivante : une technique qui pousse à la collectionnite aiguë. L’enfant doit absolument pratiquer l’échange pour obtenir des pièces originalesà et le cercle des fans s’élargit.

Ajoutez à cela le culte du secret qui règne autour du petit personnage, et vous comprenez pourquoi nos gamins deviennent vite accros. La maison mère, allemande, de Diddl, Depesche, ne fait jamais de pub, décline (souvent, mais pas toujours !) les interviews, et bien entendu refuse tout partenariat. Quant à l’idée – maintes fois évoquée – de raconter les aventures de Diddl en dessins animés, c’est tout simplement hors de question.  » Ses créateurs ont tout compris ! insiste Anne Doumac. Si Diddl s’affiche en 4 x 3 sur les murs d’une ville, sur une boîte de céréales, ou si ses aventures sortent sur grand écran, cela risque de tuer l’engouement, puisque le monde fantaisiste de chaque enfant serait réduit à une seule version, visible par tout le monde.  » Les Pokémon, il y a quelques années, n’y ont pas survécu.

La pub est donc supplantée par le bouche-à-oreille, une technique privilégiée des publicitaires depuis que les 8-14 ans sont devenus leur cible préférée. Le cabinet Millward Brown a publié en 2003 l’étude la plus exhaustive sur ces nouveaux consommateurs, baptisés les  » tweens « . Des préados qui flairent les messages condescendants ou faux à des kilomètres, dorment presque tous avec une peluche et sont désespérés quand la batterie de leur portable se décharge. Des jeunes qui sont nés une souris à la main, n’hésitent pas à comparer les prix des distributeurs sur Internet et exigent que tout soit disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Et, surtout, qui font et défont la mode grâce à un bouche-à-oreille aussi ravageur qu’efficace. Si Diddl fête ses 15 ans cette année, c’est bien à eux qu’on le doit.

Du côté des enfants, le décryptage est plus simple :  » j’aime « Diddeul » parce qu’il est mignon, tout gentil et qu’il me protège « , explique simplement la petite Isabelle. On ne peut être plus explicite.  » Dans une culture où prévaut un principe de plaisir, où l’école est souvent vécue comme une contrainte et une frustration, les Diddl constituent l’objet idéal pour emporter un peu d’enfance, un brin de maternage dans son cartable « , observe Didier Pleux, psychologue spécialiste de la petite enfance, qui sait de quoi il parle, puisque ses filles sont aussi des fans.  » En plus, l’univers Diddl est finalement très malin, car il n’impose pas de cadre fixe. L’enfant peut, à partir de grands traits de caractère, extrapoler, rêver, créer un monde qui lui appartient. Ce qui garantit une certaine pérennité « , poursuit Didier Pleux, lequel souligne par ailleurs  » la réussite insidieuse des marchands de jouets, qui transgressent la règle du « pas de jouets à l’école » grâce aux produits dérivés, retardent de ce fait le contact de l’enfant avec la réalité du monde adulte… et introduisent un comportement addictif dans les cours de récré « . De quoi faire culpabiliser un peu les parents.

La société qui commercialise Diddl, évidemment fière du succès du petit personnage, nuance cette dernière critique :  » Notre univers est fait de douceur. Diddl fait preuve d’un solide sens de l’amitié, d’un véritable optimisme et il n’est jamais agressifà contrairement à bon nombre de propositions, très violentes, que l’on trouve sur le marché du jouet.  » Quant à la doudou-dépendance, encore une fois, il relativise :  » Des études menées nous montrent que nous allons vers un rajeunissement des fans. Diddl sert à passer en sixième, puis on l’abandonne progressivement… Finalement, cela me paraît plutôt normal, non ?  » Nous voici soulagés. Allez, bon anniversaire, Diddl !

Cécile Allegra

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