Sous ses allures d’élégante, elle cache une main de fer. Passée sans transition du Port de Liège à un cabinet ministériel, la nouveauté ne lui fait pas peur. Au contraire, elle suscite sa gourmandise
Son totem û Serval û, hérité du mouvement de jeunesse où les petites bourgeoises se taillent un caractère, lui sied à merveille. Ce grand chat sauvage d’Afrique, haut sur pattes, agile, souple et élégant, peut aussi adopter la posture bondissante, toutes griffes dehors. Il y a du fauve en elle, qui examine chaque chose avec gourmandise, intérêt, rapidité, avidité. Du félin aussi, lorsqu’elle prend la moue d’un petit animal fâché et devient insaisissable, distante, indifférente, parvenant à peine à masquer le profond ennui dans lequel la plongent les interlocuteurs pour lesquels elle n’a pas d’estime. A l’instar des chats, des vrais, ceux qui squattent les terrains vagues plutôt que les salons, elle a les manières décidées, l’esprit vif, le caractère viril. Comme eux, enfant, elle aimait à grimper dans les arbres, guidée vers la cime par un frérot resté au sol qui, sa mission accomplie, désertait les lieux sans plus se préoccuper d’une s£ur aventurière abandonnée dans les hauteurs. Peut-être est-ce du souvenir cuisant de ces facéties fraternelles que lui est venue cette assurance, propre à ceux qui ne comptent que sur eux-mêmes pour avancer. Et un humour coquin, qu’elle dit aussi avoir hérité du chien de son enfance liégeoise : » Quand maman nettoyait, il s’arrangeait toujours pour renverser le seau d’un coup de patte, avant de s’en aller, l’air parfaitement détaché. » Comme lui, elle peut être cocasse, franchement rigolote : elle n’a pas son pareil pour transformer une soirée avec des amis en véritable partie de fous rires, à coups d’anecdotes désopilantes. Elle est comme ça : alors que de vieux messieurs sérieux l’avaient invitée à animer l’une de leurs soirées au Rotary, Marie-Dominique Simonet s’est mise à jouer Les Vamps, en duo avec la députée liégeoise libérale Christine Defraigne. Les voilà dans la peau de Gisèle Rouleau et de Lucienne Beaujeon, ces deux très médiatiques fausses sexagénaires qui jouent leur quotidien, pimenté de médisances, de coups en douce et de banalités qui tournent toujours au burlesque.
» La vie n’est pas qu’un amusement, c’est pour cela qu’il faut beaucoup d’humour « , lâche Marie-Dominique Simonet, passée sans transition, en juillet dernier, du statut de directrice générale du Port autonome de Liège à celui de vice-présidente et de ministre CDH de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des Relations extérieures de la Communauté française, ainsi que û excusez du peu û de ministre de la Recherche, des Technologies nouvelles et des Relations extérieures de la Région wallonne. Elle qui n’avait même pas sa carte de parti et n’avait jamais, de sa vie, mené la moindre campagne électorale s’est vue, d’un coup, affublée d’une double casquette ministérielle…
La belle s’incruste et s’impose
Certes, les difficultés lui ont toujours fait prendre vie et couleurs. Au Port de Liège, elle détonnait : les voies navigables, en principe, c’est une affaire de mecs. D’ailleurs, lorsqu’elle a troqué son métier d’avocate pour celui de juriste au Port, les mâles en place la lorgnaient d’un £il torve. Pensez : une femme en ces lieux, évoquant des bruits des poulies, des tonnes d’acier, des monstres flottants… Une donzelle plutôt BCBG, le tailleur élégant, avec deux enfants en bas âge, de surcroît ! Qu’à cela ne tienne : la belle s’incruste et s’impose magistralement. Si bien que, six ans plus tard, ces mêmes hommes qui l’avaient méjugée l’adoubent comme directrice générale… Il se dit que, durant son » règne » de huit ans û il s’est interrompu le 19 juillet dernier, à l’annonce de sa nomination ministérielle û, le trafic du Port serait passé de 9 millions de tonnes en 1996 à quelque 14 millions en 2003 ! Il est vrai qu’elle occupe pas mal de place, règle le poto-poto sans états d’âme ni hésitations, plongeant avec délices la main dans le cambouis, balayant les rigidités internes, troublant l’ordre des choses et bousculant ceux qui confondaient trop volontiers le Port avec un fleuve un peu trop tranquille. Souvent, d’ailleurs, il n’y en a que pour elle : en son absence, silence radio, aucune information ne filtre. Son omnipotence en courrouce sans doute plus d’un, ce qui ne la fait absolument pas fléchir. C’est que Marie-Dominique Simonet a pour elle une vive intelligence, une capacité de travail colossale, une aptitude à penser au long terme. Fonceuse (son revers au tennis est redoutable), elle ne s’embarrasse pas des rapports de force ni des règles en usage. Endurante (c’est une nageuse hors pair), elle s’attelle sereinement û quoique ses nuits soient souvent blanches… û aux bonnes questions et au travail de fond. Et, surtout, on peut lui faire confiance pour mener un combat en faveur de l’intérêt général.
C’est cela, sans aucun doute, qu’a senti chez elle Joëlle Milquet, la présidente du CDH, depuis peu rappelé aux affaires en Région wallonne et à la Communauté française. Une qualité qui, alliée au bon ancrage géographique (il fallait un ministre de la région liégeoise, Simonet habite à Esneux), à la bonne paire de chromosomes (une femme : quelle aubaine !) et au parcours apolitique de l’intéressée (vive la » société civile » !), avait tout pour plaire aux hautes instances d’un parti en plein renouvellement. Marie-Dominique Simonet est bien consciente du fait que son parachutage, tout à fait inattendu, révolte certains besogneux et autres méritants partisans, et irrite les brontosaures paissant encore, ici et là, sur les terres û il en reste û du » vieux » PSC. Elle n’a cure des esprits chagrins et rien ne vient, à ce stade, brider son enthousiasme. Le défi est énorme ? Certes. L’enseignement supérieur est un dossier miné ? Peut-être. L’application du décret de Bologne ne sera pas une mince affaire. La visibilité de la Communauté française et de la Région wallonne à l’étranger est plus que discrète ? Sans doute. Mais à toutes ces questions elle n’oppose qu’une seule réponse, inspirée de Benjamin Franklin : » Mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité « …
Isabelle Philippon