La  » désinnocence  » de JP Nataf

Philippe Cornet Journaliste musique

Plus de sucre est le premier solo de JP Nataf, quatre ans après la rupture avec Les Innocents. Réglage de la matrice familiale et mélodies en sous-sol pour un résultat irrésistiblement touchant

Il y a du panache dans ce disque aux fausses légèretés. Sous le couvert d’une braise acoustique, le feu allumé par Jean-Philippe Nataf, 42 ans, est bien réel : les douze chansons s’absorbent patiemment mais, après deux trois écoutes de cette suite d’accords mineurs souvent imparables, la mélancolie inhérente fait son effet. On s’y enfonce, puisqu’elle nous fait de telles promesses de douceur et d’apaisement. Ne nous y trompons pourtant pas, l’ex-Innocents ne donne pas dans la candeur. La joliesse des guitares ou la sérénité baladeuse du piano ne forment que la surface à gratter de pensées plus amères. On est loin de la pop ludique des Innocents (cf. Jodie), ce quatuor qui a vendu un million de disques en quatre albums, sortis entre 1989 et 1999. La  » petite boule de juif  » ( sic) que JP cite dans le titre d’ouverture conjugue un autre air, celui de l’enfant blessé.  » Dans ce disque, je règle des choses que je ne pouvais pas régler avec Les Innocents, ce n’était pas le bon cadre. J’ai grandi entre deux cultures : mon père est juif, ma mère convertie, mais très ômère juive aryenne » ( rires). Ils se sont séparés quand j’avais 5 ans et cela a laissé des traces. Sans qu’il y ait véritablement exclusion, je ne me sentais pas vraiment à l’aise à l’école des bonnes s£urs ou aux scouts catholiques. Ainsi, j’ai été très blessé de ne pas pouvoir accéder au poste suprême chez les scouts, simplement parce que je ne communiais pas à l’église…  »

Chagrins de gosse qui questionnent encore l’adulte, vieux fantômes qu’on tente de chasser dans les chansons : la musique est devenue thérapie.  » J’ai laissé tomber la thérapie que j’avais entreprise, parce que je n’ai pas envie d’être guéri de quoi que ce soit. Mes angoisses ne sont pas un handicap : elles me permettent de faire des disques. J’ai des dysfonctionnements, mais ils sont mon argile. Ce disque solo, c’est mon instinct, ma bouche, mes oreilles, ma sensualité, mon hédonisme.  » Plus de sucre, nullement spectaculaire, accroche par ses mélodies crève-c£ur de Mon ami d’en haut, de La Grande Ourse ou de Jean-Philippe. Des trésors qu’Annegarn ou Dominique A auraient peut-être écrits s’ils venaient du Sud û la Tunisie natale du père Nataf û plutôt que du Nord. D’une géographie où les sentiments friables ne s’avouent qu’à demi.

Le temps dilaté

Comme un  » vieux fantasme des années 60 « , Plus de sucre a été enregistré dans une liberté complète d’interprétation et d’improvisation sur un laps de temps de deux ans, avec des amis musiciens qui passaient lors de sessions informelles tenues au Studio Garage, dans le xxe arrondissement parisien. Dominique Ledudal û producteur et propriétaire du Garage û a poussé JP dans ses retranchements, l’encourageant à transformer les quelques chansons écrites pour un concert solo au profit de la lutte contre le sida en futur album.  » Avec Les Innocents, je m’occupais beaucoup de l’image du groupe, des clips, de l’objet disque. Je suis revenu à ce que je préfère : chanter et composer. Avoir survécu aux Innocents, séparés en 2000, a déjà été un miracle. Il faut dire que je ne suis jamais passé à l’âge adulte par rapport à ce métier, je l’ai toujours fait pour des raisons purement adolescentes !  » Ainsi, JP n’est pas plus traumatisé que cela par les ventes (trop) modestes du disque sorti en mai : 9 000 exemplaires écoulés !  » Je suis sur un label indépendant ( NDLR : tôt Ou tard, qui s’occupe aussi de Thomas Fersen, Vincent Delerm ou Annegarn) qui n’a pas la puissance marketing d’un Universal. Mais, après quinze ans d’expérience humainement réussie et musicalement intéressante, j’ai fait le choix conscient de quitter le cortex et d’entrer dans un temps dilaté, sans manager, sans business, pour défendre une certaine idée de la musique  » Plus de sucre en témoigne plutôt brillamment.

CD Plus de sucre, chez Warner. JP Nataf est en concert au Botanique, à Bruxelles, le 10 novembre. Tél. : 02 218 37 32.

Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire