» Que ton aliment soit ton médicament « , clamait déjà Hippocrate au Ve siècle avant Jésus-Christ. Le message du médecin grec n’a pas perdu un iota de son acuité et est aujourd’hui martelé par le Pr Henri Joyeux. Ce spécialiste reconnu mondialement en matière de nutriprévention livre au Vif/L’Express une liste de 12 aliments bénéfiques pour l’organisme… traduits en recettes par une coach en cuisine santé et 4 chefs belges.
L’ouvrage s’appelle Changez d’alimentation sans point d’exclamation (1). Pourtant, à en lire la 7e édition revue et augmentée, on se dit que tout un chacun aurait à gagner d’une pareille incitation. C’est que » Changez d’alimentation ! » semble de plus en plus s’apparenter à une urgence. Le constat du Pr Henri Joyeux est sans appel : » Un cancer sur deux est lié à de mauvaises habitudes alimentaires… ce qui impose de « manger mieux et meilleur » pour sa santé. » Dans le livre qu’il consacre à la nutriprévention, l’éminent professeur ne prend pas de gants, comme en témoigne sa mise en garde initiale. » Même si vous ne retenez pas tout ce qui est écrit dans la suite, retenez au moins que toutes les publicités qui vous sont « offertes « , sur les murs du métro, dans les magazines, sur les grands panneaux de nos villes, voilà ce qu’il ne faut pas acheter. On essaie de nous prendre pour des « cons-sommateurs » mais fort heureusement, nous sommes entrés en résistance. » Difficile d’être plus clair pour ce médecin qui n’est pas l’ami de l’industrie agroalimentaire.
Mais comment ce cancérologue et chirurgien en est-il venu à se passionner pour la nutriprévention ? » Ma thèse de doctorat en 1972 avait pour titre L’intestin artificiel, explique-t-il. Il s’agissait de remplacer temporairement ou définitivement les fonctions nutritives du tube digestif par une nutrition exclusivement par voie veineuse, apportant les 24 nutriments dont notre corps a besoin chaque jour. J’ai pu mettre au point le « All in One », soit des mélanges nutritifs nécessaires à la vie des patients en insuffisance digestive. J’ai donc acquis de grandes connaissances quant aux besoins nutritionnels et à la façon de les combler. En 1985, ma méthode avait fait le tour du monde. Au fur et à mesure de mon expérience de chirurgien-cancérologue, je me rendais compte que de plus en plus de malades étaient atteints de cancer du fait de leurs mauvaises habitudes alimentaires. Ainsi, on a pu démontrer que près d’un cancer sur deux est lié à de la surnutrition. En plus, j’ai pu démontrer, à partir de tests laboratoires sur animaux, que les tumeurs cancéreuses poussaient plus vite selon les apports augmentés en calories et protéines en particulier. »
Malbouffe généralisée
Pour le Pr Joyeux, la malbouffe ne se résume pas aux fast-foods, la face apparente de l’iceberg de la mauvaise nutrition. L’exemple le plus frappant se trouve, selon lui, dans les maisons de retraite. » Il suffit de constater leur surmédicalisation, enchaîne-t-il. Les personnes âgées ont une dizaine de médicaments à prendre chaque jour, statines contre le cholestérol, antidiabétiques pour trop de sucres, anxiolytiques ou somnifères… Tout cela est source de nombreuses complications. »
Dans ce contexte, quels comportement proscrire ? Les produits laitiers sont parmi les premiers à être dans le collimateur du spécialiste, même si l’on nous en loue les mérites en matière d’ostéoporose. C’est surtout le lait de vache qu’il déconseille. A la place ? » Un petit morceau de fromage de chèvre ou de brebis suffit, à mastiquer, qui rassasie par le goût associé à un ballon de bon vin rouge et si possible bio, voilà l’idéal pour la santé en fin de repas. »
Autre aliment à susciter la méfiance du médecin : la viande. » Il faut se nourrir de viande rouge avec parcimonie, une fois par semaine est suffisant. Il est crucial que celle-ci soit de bonne qualité, ce qui devient de plus en plus rare. La viande hachée est pour moi un non-sens. Nous avons une excellente dentition que nous utilisons insuffisamment. Ce que nous avalons doit être pâteux ou liquide ce qui impose de régaler longuement notre palais. Cette opération permet d’apprécier les aliments à leur juste valeur et d’arriver plus rapidement à satiété. Si nous mangeons trop rapidement, nous perdons le goût des aliments. Alors, nous « bouffons » comme des animaux. »
Prise de conscience
Ultra-médiatisé, le secteur de la restauration, particulièrement celui de la gastronomie, est censé donner l’exemple. Pourtant, il est souvent question de repas interminables et de cuissons mal adaptées. Dans l’imagerie classique du bon repas, santé et plaisir semblent se tourner le dos. Le Pr Joyeux constate cependant un changement de mentalité : » La restauration gastronomique essaie de plus en plus de s’orienter » santé », car le grand public a compris que la nutrition est source de bonne santé et de longévité. C’est son rôle car si payer cher un bon repas rend malade… vaut mieux choisir le jeûne qui, de temps en temps, fait le plus grand bien. »
En Belgique, avec sa » cuisine instinctive « , l’étoilée Arabelle Meirlaen est la première à avoir changé son fusil d’épaule. » La prise de conscience est venue de mon expérience personnelle, confie-t-elle. Je travaillais beaucoup dans une toute petite cuisine, à Huy. Les rythmes étaient élevés, du coup, je mangeais mal et je prenais du poids. J’ai constaté un véritable déséquilibre alimentaire. J’ai décidé de prendre les choses en main en m’informant et en rencontrant des personnes qui s’étaient intéressées à la question. J’ai complètement changé d’alimentation, j’ai stoppé le lait et le gluten. J’ai été mon propre cobaye avant d’importer ce changement de paradigme dans ma cuisine. Je digérais mieux et, surtout, j’avais plus d’énergie. »
Aujourd’hui, Arabelle Meirlaen a banni la crème de ses préparations, limite la viande, se fournit en blé auprès d’un moulin qui produit une farine biologique et, surtout, place les légumes au centre de sa cuisine. Dans la foulée, elle prépare l’estomac de ses clients avec des mises en bouche vinaigrées qui facilitent la digestion. Seul hic, elle a du mal à répandre la bonne parole. » Peu de mes collègues prennent cela au sérieux, le message ne passe pas « , regrette-t-elle. Signe qu’un long chemin reste encore à accomplir.
(1) Changez d’alimentation, par le Pr Henri Joyeux, Editions du Rocher, collection Equilibre, 400 p.
Par Michel Verlinden