La croisade du MR pour défendre la neutralité de l’Etat

Le Vif/L’Express présente, en exclusivité, le premier rapport issu de la réflexion libérale sur l’interculturalité. Priorité : lutter contre les accommodements raisonnables. Une réflexion de fond, contre les provocations de la N-VA.

La N-VA commence à taper sur le système du MR au gouvernement fédéral. En multipliant les provocations dans le dossier des migrants, Bart De Wever, Theo Francken et Liesbeth Homans mettent le parti du Premier ministre à rude épreuve. Voilà soudain les libéraux contraints de composer avec des dérapages verbaux, des propositions intolérables en matière de droits humains ou, s’il s’y opposent fermement, de tenir des positions  » proches du PS « .  » C’est choisir entre la peste et le choléra, dit-on en interne. Parfois, il est préférable que l’on se taise…  »

C’est dans ce contexte politiquement tendu que le MR diffuse un premier rapport intermédiaire des Assises de l’interculturalité. Il s’agit d’une première réponse en forme de lame de fond à l’inquiétude actuelle face à l’immigration. Le Vif/L’Express en présente le contenu en exclusivité. Au-delà des mots, du concret : dans les semaines qui suivent, une série de propositions de lois et de décrets vont être déposées à tous les niveaux de pouvoir. Avec davantage de chance de passer au fédéral qu’en Wallonie et à Bruxelles, où le MR est dans l’opposition.  » C’est un travail sur le fond et au long cours, insiste Denis Ducarme. Ce n’est pas une réaction à chaud comme on en entend trop pour le moment. Il n’y a pas de solution simple à des problèmes complexes.  »

Ce n’est pas la première fois que les libéraux mènent un tel débat. Daniel Bacquelaine, aujourd’hui ministre des Pensions, avait déjà porté le fer dans la plaie en 2003.  » Cela nous a permis de faire avancer le débat sur ces questions sensibles, explique Denis Ducarme. Je pense à la loi anti-burqa, dont je fus le coauteur. L’accord actuel du gouvernement fédéral prévoit l’interdiction pour les fonctionnaires d’afficher des signes religieux ostensibles, cela vient de là aussi. Et nous obtenons enfin des avancées sur un sujet que l’on réclame depuis 2004 : le parcours d’intégration obligatoire. A l’époque, nous étions présentés comme des demi-fachos. Paul Magnette, ministre-président wallon (PS), nous dit maintenant qu’il y est favorable. Mais la gauche nous a fait perdre quinze ans. Et il faut voir ce qu’ils vont mettre en place : apprendre la langue, ce n’est pas suffisant, il y a des valeurs à transmettre… Moi, je leur dis que si l’on veut accueillir des migrants, il faut aussi les intégrer.  »

Un observatoire de la neutralité

Le contexte dans lequel cette réflexion est menée est loin d’être serein. Olivier Chastel, président du MR, a relancé ces assises.  » Depuis trois ans, nous vivons une période comme nous n’en avons jamais connue, acquiesce Denis Ducarme. Ceux qui ont voulu faire dévier une religion à des fins idéologiques et destructrices mettent la tranquillité de notre société en question.  » Depuis janvier, les libéraux ont longuement écouté, débattu avec les représentants de tous les cultes. Mot d’ordre : le vivre ensemble passe par le respect d’un socle commun des valeurs, la neutralité de l’Etat et la lutte contre le racisme.  » Autant d’éléments pour lesquels on constate aujourd’hui de véritables ratés. On le voit sur le front du radicalisme ou de la migration. Nous devons tout faire pour éviter que ces mines nous explosent au visage. Il est temps de défendre à nouveau la neutralité de l’Etat.  »

L’idée centrale consiste précisément à créer un Observatoire de la neutralité, en s’inspirant de l’observatoire de la laïcité créé en France par le président Jacques Chirac en 2007 et installé sous François Hollande en 2013. Composé de parlementaires, de membres de l’administration et de spécialistes universitaires, il a émis depuis quantité de recommandations qui ont, parfois, débouché sur des lois. En Belgique, ce serait une institution interfédérale. Un  » brol  » de plus ?  » Nous voulons lutter contre les accommodements raisonnables, argumente le président des Assises. Au vu de leur développement exponentiel, il faut mettre en place un instrument qui nous permette d’objectiver ces situations, afin de déterminer les sujets sur lesquels nous devons légiférer. Une proposition comme celle-là fera peut-être sourire certains, comme le parcours d’intégration il y a dix ans, mais le communautarisme continue à gagner des points et cela ne correspond pas à notre vision de la société !  » Une pierre dans le jardin du PS et du CDH.

Le MR veut défendre la liberté de religion, mais en l’encadrant au maximum. Voilà pourquoi il entend notamment relancer le débat sur le financement des cultes, lancé en 2006 par une commission des sages, mais au point mort depuis tant le sujet est explosif.  » Il est temps de mener le débat dans un climat serein, apaisé et sur le fond, insiste Ducarme. Pourquoi, aujourd’hui, tous les ministres du culte ne sont-ils pas payés de la même manière ? Quel sens cela a-t-il ?  » Le parti du Premier ministre défend aussi la mise en place d’un  » parcours d’intégration obligatoire et spécifique  » pour tous les ministres du culte provenant de l’étranger. Texto, dans le rapport :  » Chaque ministre du culte doit être respectueux des valeurs démocratiques et citoyennes de l’Etat de droit : la neutralité, l’égalité homme-femme, la liberté religieuse, en ce compris le droit au blasphème.  » Ce parcours serait sanctionné par la délivrance d’un certificat permettant l’exercice de leur métier.

Ce parcours d’intégration version XXL permettra d’éviter une ingérence étrangère néfaste comme ce fut le cas dans plusieurs mosquées. Et de prévenir avant de guérir, à l’heure où plusieurs prédicateurs ont été exclus de notre territoire ?  » Cela ne s’appliquerait pas seulement aux imams, mais à tous. Mais il est clair que des questions spécifiques se posent à ce niveau-là. Nous avons rencontré à plusieurs reprises le président de l’Exécutif des musulmans qui a insisté sur la nécessité d’éviter que quelques personnes ne salissent l’image de tous les musulmans. Il y a un effort à faire pour mettre en valeur ces musulmans qui prônent l’union et le rassemblement. Je ne cesse de le répéter : nos meilleurs alliés contre les islamistes, ce sont les musulmans. Je veux mener une guerre totale contre le radicalisme, et l’opinion publique le sait, mais je la mène avec des musulmans.  » Qui ajoute :  » L’idée n’est pas toujours d’arriver avec le bâton. Il faut aussi accompagner, prendre par la main.  »

Le coaching des jeunes radicalisés

Voilà pourquoi le MR déposera également des textes à plusieurs niveaux de pouvoir pour créer un système de coaching des jeunes islamistes radicalisés. L’idée est venue après un déplacement à Aarhus, au Danemark, dans le cadre de ces Assises. Là-bas, le résultat fut  » fulgurant « , insiste Ducarme : alors que 31 départs de combattants vers la Syrie avaient été recensés en 2013 dans cette cité de 300 000 habitants, ils n’étaient plus que trois en 2014.

 » C’est indispensable si l’on veut éviter à temps que la tache d’huile ne se répande chez nous, insiste Françoise Bertieaux, cheffe de groupe MR au parlement de la Communauté française. Pour l’instant, je ne connais pas les chiffres exacts de la Sûreté de l’Etat, mais mettons qu’ils sont trois cents jeunes susceptibles de partir en Syrie. On peut encore les en empêcher via un accompagnement individualisé. Quand ils seront trois mille, il sera trop tard ! »

Le processus, explique-t-elle, est long :  » Les experts disent généralement qu’il faut quelques jours à peine pour qu’un jeune se radicalise. Mais il faut des mois pour les en faire revenir. Il faut d’abord recréer un rapport de confiance, un dialogue, puis les convaincre à reprendre des activités, se promener dans un parc par exemple. On doit veiller à leurs fréquentations, mener un encadrement avec des psychologues, des éducateurs de rue, avant que des islamologues ne leur rendent les fondamentaux de leur religion.  »

D’un autre voyage, à Paris, le MR avait importé une autre idée : la création d’une ligne verte antiradicalisme, un numéro d’appel gratuit à l’usage de ceux qui sont confrontés à ce fléau.  » C’est un système qui a permis d’éviter que des gens ne partent « , clame Denis Ducarme. En juin, Rachid Madrane, secrétaire d’Etat PS à la Protection de la jeunesse, a pris la balle au bond. Dans ces dossiers, PS et MR peuvent très bien se retrouver.

Un cours obligatoire pour les médecins

Dans ce premier rapport, une série de mesures concernent encore le monde médical, mis sous haute pression par cette mutation de notre société.  » La religion des patients ne doit pas venir régenter la façon dont le corps médical doit exécuter ses pratiques, insiste Denis Ducarme. Il y a vraiment des problèmes qui existent, avec le risque que les soins soient moins bien dispensés.  » Il n’est pas rare qu’une femme refuse d’être soignée par un homme ou qu’un malade refuse une transfusion sanguine, en raison de leur confession. Mot d’ordre du rapport :  » La science est prioritaire face aux croyances.  »

Le MR veut développer le travail des équipes de médiation interculturelle, qui font le lien entre le personnel soignant et les patients de toutes origines.  » L’initiative était née sous forme d’expérience pilote dans les années 1970, elle concerne aujourd’hui une cinquantaine d’hôpitaux, souligne Abdallah Kanfaoui, médecin-chef de l’hôpital des enfants et député bruxellois MR. Notre pays a mis en place un système unique en Europe. Un des problèmes, c’est que le personnel soignant n’a pas de formation en ce sens dans leur cursus de formation.  » Pour boucler la boucle, le MR déposera des propositions de lois au fédéral et au parlement bruxellois pour créer un cours obligatoire dédié à l’interculturalité dans toutes les filières médicales et paramédicales.

Une fois tous les textes déposés, les députés libéraux reprendront leur réflexion en marge des gouvernements.  » D’ici à la fin de l’année, en lien avec l’actuelle crise de la migration, nous allons notamment mener un grand débat sur la lutte contre toutes les formes de racisme, conclut Denis Ducarme. Nous avons tous les instruments légaux pour lutter contre cela, mais il n’empêche que le racisme ne cesse de progresser !  » Et d’ajouter :  » Notre logique est humaniste. Il ne s’agit pas pour nous de hurler avec les loups !  »

Voilà pour le message politique à Bart De Wever qui, ce mardi encore, réclamait lors d’un discours à l’université de Gand une révision de la Convention de Genève, qui protège les réfugiés. Une provocation supplémentaire…

Par Olivier Mouton

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire