La couleur pour tout dire

Jim Dine expose ses dernières toiles dans une galerie bruxelloise. Rencontre avec un géant de l’art américain.

A 79 ans, Jim Dine est un homme heureux. Ou plus justement, apaisé. De petite taille, légèrement rondouillard, il a les mains du travailleur manuel, la santé des gens qui vivent au grand air et le regard mobile et lumineux du peintre. Ses dernières toiles, ivres de couleurs les plus variées, pourraient donner le tournis. La gestuelle puissante laisse peu de place aux moments de pause. Et de même, la diversité chromatique. Et pourtant, plus on les regarde et plus le sentiment d’une joyeuse harmonie prend le dessus sur le chaos annoncé. Son secret : la vie qu’il partage avec sa compagne Diana entre Paris et leur ferme de Walla Walla (non loin de Seattle, aux Etats-Unis). D’un côté, la ville cosmopolite. De l’autre, une terre de 12 hectares cultivée par leurs soins.

Ce n’est pas l’idée que l’on se fait d’un artiste qui fut (trop) longtemps associé au mouvement du pop art et de ses signes avant-coureurs que Jim Dine découvre lorsqu’en 1957, quittant Cincinnati, il débarque à NewYork. Il n’a alors que 22 ans et rencontre les grands comme John Cage, Robert Rauschenberg ou encore Allan Kaprow. Dans les oeuvres qu’il réalise alors, il mêle peinture et objets du quotidien. Ainsi, à l’un de ses premiers tableaux (Five Feet of Colorful Tools, 1962, aujourd’hui dans les collections du MoMA de New York), il accroche divers outils : marteau, pince, scie et vilebrequin à leur tour recouverts de diverses teintes qui s’étirent et s’écoulent sur la surface plane du panneau. Progressivement, le choix des objets se limite à quelques-uns qui renvoient davantage à sa vie privée comme le peignoir ou la cravate qu’il peint inlassablement dans une forme stéréotypée. Ainsi donc, très vite, il se désolidarise des créateurs du pop art (Warhol, Oldenburg, Wesselmann, Lichtenstein…) qui préfèrent évoquer l’univers de la consommation de masse.

Le Vif/L’Express : Après avoir pris vos distances avec le milieu new-yorkais, vous décidez, en 1967, de quitter l’Amérique et de rejoindre l’Europe. Pourquoi ?

Jim Dine : En gagnant la Grande-Bretagne, j’avais l’impression de rentrer à la maison. A New York, je vivais en décalage avec moi-même. L’Europe a toujours été plus proche de ma sensibilité. Aujourd’hui encore, je me sens particulièrement bien dans les pays du Nord comme l’Allemagne ou la Norvège. Peut-être est-ce une question d’héritage, mes grands-parents étant originaires de Pologne et de Lituanie. L’Europe me rapproche aussi d’artistes comme Matisse que je considère comme le number one de l’art du XXe siècle. Le plus grand des coloristes. Ou encore, Edward Munch pour ses gravures ou Rembrandt pour ses dessins.

Vous avez longtemps privilégié quelques images emblématiques comme le coeur, la cravate ou le peignoir. Aujourd’hui, vous les avez abandonnées au profit de la seule couleur. Mais d’où viennent ces rouges, ces bleus, ces verts, ces oranges et ces noirs ?

Où que je sois, je recherche la présence de la couleur. Elle m’est autant offerte par la nature que par l’environnement culturel. Une carrosserie de voiture, un plastique, un textile ou encore l’image d’un film. Je capte les couleurs où que je sois, aux Etats-Unis, en France mais aussi en Inde, à Hawaï, en Islande ou aux Indes. Ma préférée est le rouge.

Comment travaillez-vous ?

Je n’ai aucune idée préalable. Quand je suis dans mon atelier, les fenêtres grandes ouvertes, je fais entrer le silence et j’improvise. La première étape consiste à préparer le fond. Pour cela, je pose la toile horizontalement et avec de grandes brosses, j’étale une couche épaisse d’acrylique à laquelle j’ajoute du sable. Ainsi, j’obtiens après séchage, une texture très présente qui va intensifier l’éclat des teintes. Dans la seconde étape, je relève le panneau. Je dois être face à lui, debout. D’un geste, j’écrase une première couleur. Les autres suivent, les unes en épaisseur, les autres plus fines. Il y aura des parties plus lisses, d’autres en relief, des coulures, des grattages, des empreintes. Je travaille par  » correction « , enlevant (parfois même au Kärcher) une partie afin de remplacer une couleur par une autre. Comme dans mes poèmes où je  » découpe  » un fragment au profit d’un autre. Matisse faisait cela aussi. Cette méthode doit autant au hasard qu’à l’expérience. Pour le moment, je travaille à une oeuvre de très grande dimension. C’est très dur mais aussi très excitant. Je vois ce travail comme une danse. Les pas, les gestes, le rythme, l’élan, le repli…

Votre méthode tient aussi aux techniques de la gravure que vous pratiquez depuis toujours.

Vous ne pouvez pas imaginer comme j’aime graver, imprimer. Je pratique la taille douce ou la litho tous les jours. Au moins la moitié du temps que je consacre à l’art.

Dans l’exposition bruxelloise, on découvre aussi une sculpture polychrome représentant Pinocchio.

Quand j’étais enfant, je passais pas mal de temps avec ma grand-mère au jardin. Mais elle me lisait aussi des histoires. Le personnage de Pinocchio inventé par Carlo Collodi me faisait peur. Très peur. Au fil des ans, j’ai vu dans ce bout de bois devenu marionnette vivante une métaphore du travail de l’artiste. De presque rien, Gepetto, le vieux et pauvre menuisier, donne la vie. Dans mon cas, mon bout de bois, c’est la couleur.

Un autre personnage fut à l’origine d’une grande exposition au Getty Museum…

Orphée, en effet. Le musée m’avait donné carte blanche pour choisir une oeuvre à partir de laquelle, je pouvais créer une exposition. J’avais découvert une petite terre cuite gréco-romaine représentant le poète (sans sa lyre) suivi par deux muses. J’ai dessiné, découpé, recomposé, peint. Sur les murs, j’avais écrit un poème, The Flowering Sheets. Le héros grec incarne aussi une métaphore de l’artiste, poète et musicien.

Vous avez évoqué le silence que vous appelez lors du travail. Qu’en est-il de la musique ?

Je l’écoute sur la route dans mon camion où j’ai une très bonne installation. Bach surtout. Pour la spiritualité. Je ne suis pas matérialiste. Je pense que la spiritualité se trouve à tous les étages du quotidien, du corps et de l’esprit. A cet égard, ma peinture, je l’espère, le suggère.

Jim Dine. New Paintings, galerie Daniel Templon, 13A, rue Veydt, à Bruxelles. Jusqu’au 20 décembre. www.danieltemplon.com

Entretien : Guy Gilsoul

 » Je pense que la spiritualité se trouve à tous les étages du quotidien, du corps et de l’esprit  »

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