Didier Reynders rêvait de devenir Premier ministre ? Charles Michel va lui brûler la politesse. Malgré le ressentiment et la méfiance, les deux hommes forts du MR devront s’entendre. Mais leurs intérêts antagonistes pourraient fragiliser la coalition suédoise.
Jusqu’au bout, Charles Michel et Didier Reynders se seront observés en chiens de faïence. Plus de quatre mois après les élections, alors que le dénouement des négociations semblait imminent, le duo antagoniste du Mouvement réformateur divergeait encore quant au rôle de chacun au sein de la future coalition suédoise. Dans l’entourage du président du parti, on assurait que les deux hommes étaient tombés d’accord, depuis plusieurs jours déjà : » Charles sera Premier ministre, Didier sera vice-Premier. » A l’inverse, dans les cercles réputés reyndersiens, on démentait avec vigueur : » Non, rien n’est décidé. La discussion n’a pas encore eu lieu. » Et pour enfoncer le clou, les aficionados ajoutaient que leur champion occuperait l’un de ces trois postes : Premier ministre, vice-Premier ministre ou président du MR – aucun des trois scénarios n’étant avalisé.
» L’un de vous ne dit pas la vérité « , aurait pu lâcher l’arbitre, s’il y en avait eu un. Une certitude : sauf gigantesque surprise, Didier Reynders ne redeviendra pas président du MR. Lui-même, du reste, ne l’a jamais envisagé. Il a certes occupé la direction de la formation libérale de 2004 à 2011, mais toujours en cumulant celle-ci avec la fonction de vice-Premier ministre. » Ma préférence va logiquement à l’action gouvernementale « , confiait-il récemment, dans un recueil d’entretiens (Didier Reynders sans tabou, entretiens avec Martin Buxant et Francis Van de Woestyne, Racine). Le parti ? » Un instrument « , ajoutait-il avec un soupçon de dédain. Didier Reynders a toujours détesté écumer les kermesses, serrer des mains à tire-larigot, écouter les doléances de citoyens mécontents, régler les différends personnels dans des sections locales souvent transformées en pétaudières, de la Gaume au Borinage. » D’ailleurs, c’est bien simple, il ne s’en occupait pas. Et c’était un problème qu’il ne s’en occupe pas « , souffle un mandataire libéral, pourtant pro-Reynders.
Quand bien même le néo-Ucclois aurait souhaité reprendre la présidence du MR, il est peu vraisemblable que le clan Michel l’eut laissé faire. » La présidence du parti, c’est le pouvoir, le coffre-fort, il faut être vraiment naïf pour penser que Charles Michel va l’abandonner « , analyse un élu. A ce stade, tout semble indiquer que la fonction reviendra à Olivier Chastel, ministre fédéral du Budget en affaires courantes, conseiller communal à Charleroi et… proche de Charles Michel.
Dans ce cas, pourquoi l’entourage de Didier Reynders s’évertue-t-il à laisser planer le doute ? Les réponses recueillies ici et là en disent long sur la méfiance aiguë qui sépare l’ex-Liégeois et le Wavrien. Morceaux choisis : » Didier veut continuer à mettre la pression sur Charles. Pour obtenir un portefeuille de vice-Premier assorti des compétences les plus larges possibles. » Ou encore : » Son but, c’est de faire monter les enchères, tout simplement, pour obtenir des choses supplémentaires – des postes ministériels pour ses sbires, par exemple. »
La stratégie reyndersienne de Charles Michel
» Pour moi, Bart De Wever peut devenir Premier ministre « , déclarait Didier Reynders en janvier dernier, dans Het Belang van Limburg. En fin de compte, ni le président de la N-VA ni l’ex-président du MR ne le seront, à moins d’un colossal imprévu de dernière minute. L’avènement de la coalition suédoise, de plus en plus chaotique au fil des semaines, devrait déboucher sur un immense paradoxe : Charles Michel va mettre en oeuvre un plan imaginé, rêvé même, par Didier Reynders. Qui, en effet, caresse depuis une décennie l’ambition d’entrer au 16, rue de la Loi ? Didier Reynders. Qui a le mieux incarné la volonté de faire basculer le centre de gravité politique de la Belgique francophone ? Didier Reynders. Qui a tenté, à Liège en 2006, au fédéral en 2007, dans les Régions en 2009, de mettre le PS dans l’opposition ? Didier Reynders. Qui a introduit la conférence de Bart De Wever lors de sa venue au Cercle de Wallonie ? Didier Reynders. Qui a tenté, à de multiples reprises, d’établir des ponts entre le MR et la N-VA ? Didier Reynders. Qui va devenir Premier ministre, dans un gouvernement sans les socialistes, mais avec les nationalistes flamands ? Charles Michel, au nez et à la barbe de Didier Reynders.
Pour ne pas devoir assister à ce spectacle au cours des cinq années à venir, l’actuel ministre des Affaires étrangères espérait devenir commissaire européen – une position de repli, en attendant des jours meilleurs. A l’image du général de Gaulle en 1946, le héros des libéraux francophones se serait retiré de la politique nationale, tout en restant un recours, au cas où. Las, la volonté obstinée du CD&V de décrocher le poste de commissaire européen pour l’offrir à son ex-présidente, Marianne Thyssen, a anéanti la stratégie de Didier Reynders. Personnalité orgueilleuse, ce dernier a accusé le coup. » Pendant deux, trois jours, il a vraiment déprimé « , dit-on. En janvier 2011, il avait déjà dû endurer un putsch, forcé par les siens de quitter la présidence du MR avant la fin de son mandat. Onze mois plus tard, il avait subi un autre affront : voir son meilleur ennemi, le socialiste Elio Di Rupo, devenir Premier ministre. Nous sommes en 2014 et Didier Reynders se voit à présent griller la politesse par un insolent trentenaire, celui-là même qui a ourdi le pronunciamiento de 2011.
Mais pourquoi le poste de Premier ministre ne pourrait-il pas échoir à Didier Reynders ? Ministre depuis quinze ans, vice-Premier depuis dix ans, il possède une riche expérience du fédéral. L’équipe de collaborateurs qui l’entoure est reconnue comme très performante. De plus, jusqu’il y a peu, la répartition des rôles avec Charles Michel semblait claire : à l’un la présidence du parti, à l’autre une fonction de chef de file gouvernemental. » Didier Reynders était le candidat idéal, grimace l’un de ses fervents partisans. Mais les jeunes d’aujourd’hui, quand ils peuvent saisir quelque chose, ils le font tout de suite, sans se poser la question de savoir s’ils ont été formés pour… » Le genre de remarque qui fait hurler la garde rapprochée de Charles Michel. Celle-ci ne se prive pas pour rappeler qu’un Premier ministre doit gagner la confiance de tous ses partenaires. Sous-entendu : le profil de fonction ne sied pas à Didier Reynders, persona non grata auprès d’une partie du CD&V, qui ne lui a toujours pas pardonné son implication supposée dans la chute de deux cadors chrétiens-démocrates, Yves Leterme et Steven Vanackere. » En plus, Didier est un individualiste, ajoute un proche de Charles Michel. Dix secondes après sa nomination comme Premier ministre, il nous snoberait tous. »
Un autre élément entre en jeu : le résultat électoral du 25 mai dernier. Avant le scrutin, certains sondages donnaient le MR premier parti à Bruxelles, tout en prédisant une large avance des socialistes sur les libéraux en Wallonie. Un tel scénario aurait fragilisé la présidence de Charles Michel. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Didier Reynders a échoué dans sa tentative de conquérir la pole position en Région bruxelloise, alors que le MR a progressé de façon spectaculaire partout en Wallonie.
Une coalition » casse-gueule »
Que va-t-il se passer maintenant ? Entre Didier Reynders et Charles Michel, le contentieux est ancien et profond, même s’il est aujourd’hui mis en sourdine. Ces deux-là pourront-ils cohabiter dans un même gouvernement ? La semaine dernière, le magazine Knack décrivait leur rivalité comme une » bombe à retardement » placée sous le siège de la future coalition suédoise. Le diagnostic paraît à ce stade excessif. A court terme, ni Charles Michel ni Didier Reynders n’ont intérêt à ranimer la guerre des clans. L’un comme l’autre sont des professionnels de la politique. Bon gré, mal gré, ils devront s’entendre. Le président du MR vient d’ailleurs de délivrer des signes d’apaisement en confiant deux présidences de commission au parlement wallon à des reyndersiens de stricte obédience, Jean-Luc Crucke et Pierre-Yves Jeholet.
» La cohabitation entre Charles et Didier n’est pas du tout impossible, certifie d’ailleurs Jean-Luc Crucke. Je pense même qu’ils sont très complémentaires. Le MR a besoin de l’un comme de l’autre. Leur intelligence me permet de penser qu’ils l’ont tous les deux compris. » Jacqueline Galant, députée fédérale, très proche de Charles Michel, abonde : » Pour négocier l’accord de gouvernement, tous les deux travaillent déjà ensemble. Et pour la suite, ce sera main dans la main. Ce seront nos deux hommes forts au sein du futur gouvernement, je n’ai aucun doute là-dessus. » Sous le sceau de l’anonymat, d’autres mandataires expriment le même message, avec toutefois quelques nuances. En résumé : Didier Reynders fera en sorte que la cohabitation se passe bien, il ne cherchera pas à saboter Charles Michel, mais la méfiance entre eux restera totale. » Soyons clairs, aucune réconciliation n’est possible « , constate, résignée, une parlementaire. » La rivalité Didier-Charles est mortifère pour le MR, complète un élu local. Elle a créé une forme de psychose générale. Dans un parti normal, tous les militants diffuseraient sur les réseaux sociaux des tonnes de commentaires élogieux à l’égard du futur Premier ministre issu de nos rangs. Pas chez nous… C’est à peine si on perçoit un contentement, alors qu’en face, les sympathisants du PS postent à longueur de journée des déclarations de Paul Magnette ou d’Elio Di Rupo. »
Avant même que la fusée suédoise n’ait décollé, de nombreux libéraux redoutent son explosion en plein vol. » Ce n’est peut-être pas la coalition kamikaze, mais c’est à coup sûr une coalition casse-gueule « , observe l’un d’entre eux. Or, dans l’hypothèse d’une chute anticipée du gouvernement fédéral, c’est surtout le Premier ministre – en l’occurrence Charles Michel – qui risque de payer le prix de l’échec. Anticipant ce scénario catastrophe, certains font valoir que Didier Reynders pourrait alors reprendre l’ascendant. » Vice-Premier ministre, comme position d’attente, ce n’est finalement pas si mal « , positive un fervent reyndersien. La méfiance, jusqu’au bout.
Par François Brabant et Olivier Mouton