la chronique : Le (piteux) état de l’Union

(1 ) Manifeste pour une autre Europe, éditions du Félin, 115 pages.

Demain, l’Europe s’élargit à dix nouveaux pays. Soyons francs : de tous les peuples de l’Union, lequel s’en réjouit ? La xénophobie ou l’égoïsme ont peu à voir dans ce désenchantement. Chaque citoyen est plutôt convaincu dans son for intérieur qu’à vingt-cinq cela ne pourra pas marcher mieux qu’à quinze, alors qu’à quinze, déjà, ce n’est pas terrible. De fait. Une construction européenne qui se contente au fond de n’être qu’un marché, qui étale son impuissance sur la scène mondiale et qui, bon an mal an, est cogérée par des gouvernements qui ont les yeux rivés sur la ligne bleue de leurs affaires nationales, qui peut s’en réjouir ?

Qui peut s’enthousiasmer pour une  » usine à gaz  » qui démantèle les services publics, allonge la vie professionnelle, rend le salariat plus flexible ? Qui n’a pour politiques réellement communes que l’agriculture, le développement régional et l’environnement ? Qui est inapte à faire émerger l’intérêt général et à unifier les conditions de fonctionnement de son marché unique ? Certes, quelques-uns y trouvent leur compte. Les néolibéraux qui regardent l’Union comme un modèle d’Etat minimum. Les Etats-Unis qui, depuis la chute du communisme, redoutent l’émergence d’une Europe vigoureuse. Le capital international, qui affectionne les zones franches, où le droit social est en régression et la régulation démocratique, en recul. Les responsables politiques nationaux et leurs administrations qui s’abritent derrière Bruxelles pour faire passer en douce des mesures impopulaires…

Mais pour le reste ? Pas grand monde. Pourtant, l’Europe, l’Europe comme puissance internationale, est plus que jamais nécessaire. Un contre-pouvoir mondial s’impose pour équilibrer la fougue grandissante des multinationales, contrôler les capitaux en déshérence, neutraliser l’agressivité des Etats-Unis, faire obstacle aux entreprises de démantèlement de l’Etat social et encadrer un marché débridé, incapable de se limiter lui-même. Les travailleurs du Vieux Continent, le peuple américain, les pays du Sud : tous ceux-là ont besoin d’une Europe capable de maîtriser la mondialisation et de choisir son destin grâce à une capacité retrouvée d’action publique.

Mais cette autre Europe, cette Europe qui ne reposerait pas sur le postulat du marché concurrentiel et la méthode de la diplomatie secrète est-elle possible ? Oui, répond Yves Salesse(1) ! Membre du Conseil d’Etat français, cet académique a fréquenté la machinerie européenne avant de devenir coprésident de la Fondation Copernic, une organisation pluraliste qui propose régulièrement des alternatives consistantes et réalistes aux thèses libérales sur les grands thèmes de société comme les retraites ou la fiscalité. C’est elle qui a organisé le Forum social européen qui s’est tenu à Paris en 2003 ; les idées reprises dans le livre sont d’ailleurs en grande partie issues de cette rencontre.

L’opuscule, plutôt brillant, se présente comme un manifeste. Un genre qui, on le voit, ne fait pas dans la dentelle : loin du politiquement correct et de la langue de bois, il vise à communiquer des convictions, exprimer des ambitions, forger une volonté. Le tout, ici, tient en une phrase : changer les institutions de l’Europe pour permettre l’irruption de la volonté populaire, afin de la refonder sur les valeurs de solidarité et d’égalité. Pour ce faire, Salesse énumère des objectifs précis et décrit les voies possibles de leur réalisation. Mais il ne croit pas à la politique des petits pas et prévient :  » Il n’y aura pas de réorientation significative sans ouverture d’une crise.  » Quelle crise ? L’élargissement ?

Un manifeste regarde l’Europe dans les yeux et lui dit : va te rhabiller !

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