Mons 2015 multiplie cet été les expositions d’art contemporain. Parmi elles, une place d’honneur a été réservée à la Chine et vingt-trois de ses sculpteurs.
Ils sont tous célèbres dans leur pays et souvent reconnus sinon promus sur la scène internationale. La plupart (20 sur 23) vivent en Chine, où ils occupent majoritairement des postes à responsabilité que ce soit dans le cadre de l’enseignement des arts, de la critique ou du spectacle. Inutile donc de chercher dans leurs oeuvres, les sujets qui fâcheraient le régime. Le ton est au spectaculaire et donc aussi au monumental. Mais avant d’aborder le contenu avec un peu plus de finesse, ne pourrait-on poser cette simple question : à l’époque de la dictature de Franco, une ville dirigée par le président du Parti socialiste aurait-elle invité des artistes officiels du régime ? Une galerie bruxelloise a récemment réuni une poignée de créateurs chinois censurés, surveillés, privés d’atelier et emprisonnés. Le plus célèbre est Ai Weiwei, aujourd’hui dépossédé de passeport.
Mons 2015 a opté pour le pragmatisme. La plupart des oeuvres ambassadrices de cette Chine ardente intriguent, étonnent, impressionnent. Des métiers anciens (la sculpture peinte, la porcelaine) aux techniques de pointe, elles attirent aussi par les thématiques puisées dans les traditions festives (la fête des lanternes chez Qiu Zhijie), alimentaires (l’arbre de vie de Ai Jing réalisé à partir de milliers de baguettes) ou médicales (chez Shi Hui). Elles visent aussi une actualité dominée par l’idée du passage entre le monde d’hier et la frénésie actuelle, la Chine des villages et de la terre et celle des mégapoles.
Une critique entre les lignes
Lorsque Li Zhanyang modèle dans l’argile puis peint une scène à trois personnages, il réactive une pratique qui fit les grandes heures de la propagande maoïste tout en lui insufflant, de manière ambiguë, un propos novateur. En effet, le sujet est tiré de l’histoire vraie d’un propriétaire terrien exploitant ses paysans. Jusque-là, tout est politiquement conforme. Mais la scène qui montre un cadavre emporté par deux personnages emprunte sa composition à l’art religieux des missionnaires européens. Au centre, c’est bien le corps du Christ que l’on emporte. Quant aux deux porteurs, le premier est un Chinois décontracté de la nouvelle génération alors que le second est un Occidental, costume gris de l’homme d’affaires. Menace ? Constat ? On voit donc bien qu’à travers le » convenu « , certains de ces artistes visent à travailler » entre les lignes » afin de rejoindre une position critique.
Il en va de même du Berceau suspendu de Wang Mai (réalisé à partir d’un coffre à outils d’une usine de munitions), des caisses d’ossements en porcelaine de Yang Jiechang (archéologie ancienne ou actualité ?). La représentation du corps nu est un autre sujet tabou. He An n’évoquera ses fantasmes érotiques qu’à travers une pièce au néon figurant le nom d’une star du porno. En revanche, une des rares artistes femmes invitées, Xiang Jing, tout en acceptant la censure de toute pilosité, ose une oeuvre monumentale dont le réalisme et la franchise de la pose (assise, jambes légèrement écartées) n’a d’égal que le trouble qu’elle provoque, n’en doutons pas, dans une société encore largement machiste.
La Chine ardente, aux anciens abattoirs, 17, rue de la Trouille, à Mons. Jusqu’au 4 octobre. www.mons2015.eu
Guy Gilsoul