La cathédrale, un enjeu identitaire ?

A Cologne, pour la première fois, une exposition se penche sur la manière dont, en Allemagne, comme en France, l’art gothique a alimenté le débat nationaliste.

On y recueille les pauvres. On y couronne les rois. A quoi sert une cathédrale ? Au Moyen Age, l’édifice incarne les valeurs d’un humanisme construit sur l’harmonie entre la foi et la raison. Faire l’expérience de cette architecture induit des expériences contradictoires entre dématérialisation et affirmation, mystère et clarification. Longtemps, cette pensée exprimée par saint Thomas d’Aquin fut éclipsée au profit des idéaux de la Renaissance nés en Italie. Mais dès la fin du XVIIIe siècle, les grandes églises ogivales suscitent à nouveau l’intérêt. Les Anglais donnent le ton. Marcheurs, voyageurs, topographes vont (re)découvrir leur terroir en même temps que leur patrimoine avant d’étendre leur curiosité aux pays voisins, dont la France.

Constable décrit des paysages de campagne au coeur desquels s’élèvent églises et abbayes de style ogival. Un peu plus tard, le peintre français Camille Corot fera de même aux abords de la forêt de Fontainebleau. Le ton est réaliste, parfois documentaire. Il est dans l’ère du temps des missions photographiques commandées par les Etats et de l’engouement pour la restauration. Songeons à Viollet-le-Duc. Mais pourquoi réhabiliter cette période particulière ? La réponse peut surprendre. Née en Ile-de-France, l’architecture gothique va en réalité participer à la définition de l’identité hexagonale. Or, cette même architecture est aussi revendiquée côté prussien :  » Voilà l’architecture allemande, écrit Goethe à propos de la cathédrale de Strasbourg ; car les Italiens ne peuvent se prévaloir d’en avoir une qui leur soit propre et encore moins les Français.  » Et cette rivalité ira grandissante au cours du XIXe siècle.

La cathédrale de Rouen reçoit une flèche en fer haute de 151 mètres, ce qui en fait la plus haute construction du monde en 1877. Trois ans plus tard, la tour de Cologne affiche 157 mètres. A l’heure des nationalismes, le patrimoine ancien devient un enjeu politique. Parallèlement, le regain d’intérêt pour le gothique sert aussi d’antidote aux ambitions des Lumières et du rationalisme. Le romantisme anglais d’abord, allemand et français ensuite, s’empare donc de ces architectures et réactive un imaginaire du sublime et de la ruine. Les poètes (de Novalis à Chateaubriand, puis Victor Hugo) sont en première ligne. Les peintres s’emparent à leur tour du thème. Côté germanique, Karl Friedrich Schinkel, Carl Gustav Carus et Caspar David Friedrich, le plus connu, isolent la cathédrale ou l’une de ses parties (vitraux, arcades, portail) dans le lieu naturel de leur édification en reliant ainsi, sur le mode mystique, les forêts endémiques et les dentelles de pierre. En France, les meilleurs appartiennent à la mouvance symboliste.

Cathédrale et pouvoir

La cathédrale incarne aussi les liens tout-puissants entre le clergé et le pouvoir. Les révolutionnaires de 1789 s’en rappelleront, qui saccageront tant et tant de bâtiments religieux. Et de souligner que les rois de France se firent couronner dans la cathédrale de Reims. Mais lorsque celle-ci fut bombardée par les tirs allemands durant la Première Guerre mondiale, c’est toute une nation qui qualifia le pays assaillant de  » barbare « . Enfin, ce n’est pas un hasard si les premières suites peintes par Claude Monet après la série consacrée à la gare d’Orsay (cathédrale moderne) a pour objet la façade de la cathédrale de Rouen. Elles s’inscrivent, au lendemain de la guerre franco-prussienne, dans le droit fil d’une glorification nationale au moment où Ernest Renan, lors d’une conférence donnée à la Sorbonne en 1882 ( » Qu’est-ce qu’une nation « ), défend l’idée d’une communauté basée sur le droit des gens contre une autre (germanique) érigée sur celle du droit de la terre, du sang et de la race. Pour la première fois donc, une exposition confronte deux Histoires officielles, la germanique d’un côté, la française de l’autre et ce tout au long des XIXe et XXe siècles à partir d’un même objet convoité : la cathédrale.

Le parcours

La visite débute avec un ensemble de pièces anciennes, peintures, enluminures, chapiteaux et fragments sculptés datant du Moyen Age. Si la cathédrale, sa construction et son inscription dans le tissu urbain évoque ici le temps des bâtisseurs, le souci figuratif dans le rendu de la figure humaine comme dans celui des éléments végétaux locaux, souligne la qualité humaniste du regard porté par les artisans d’alors. Mais dès les salles suivantes, le ton change avec le romantisme, allemand d’abord, français ensuite. Il y est aussi question des missions héliographiques, de la mode du mobilier et de la bimbeloterie néo-gothique, ce style dit  » à la cathédrale  » qui sévit dans l’aristocratie des années 1830.

Suivant le fil chronologique, on rejoint peu à peu (de Rodin à Odilon Redon et Carlos Schwabe) la première décennie du XXe siècle, Matisse et Picasso. Que devient par exemple l’architecture tout en piles et fenêtres du gothique sous le regard parisien d’un Robert Delaunay marqué par le cubisme et le futurisme ? Que devient-elle dans les représentations qu’en donne le berlinois Kirchner, hanté par l’angoisse d’une apocalypse à venir ? Entre audaces modernistes rêvant du monde futur et vision terrifiée, la cathédrale est une fois encore objet et sujet. Les uns y voient des principes constructifs (par ossature) dont s’emparera le Bauhaus. Les autres, un refuge menacé. La guerre approche. Et la guerre est là.

La destruction de la cathédrale de Reims, en 1914, occupe une section entière avec peintures, dessins, photographies et documents. Une autre évoque l’histoire de la construction de la cathédrale de Cologne, débutée au XIIIe siècle mais terminée seulement à la fin du XIXe. Oui, l’architecture gothique et donc la cathédrale sont bel et bien au coeur d’enjeux idéologiques opposés. Enfin, une ultime section surfe, sans conviction, sur l’art après 1945. Une seule pièce, une photographie monumentale de l’Allemand Andreas Gursky, impose dans l’ensemble inégal de cette partie, un propos qui fait sens. Face à elle, les visions américaines (Warhol, Lichtenstein) du gothique, ne sont plus que des images de cartes postales plaisantes.

Die Kathedrale romantik – impressionismus – moderne, Wallraf-Richardz-Museum & Fondation Corboud, à Cologne. Jusqu’au 18 janvier. www.wallraf.museum

www.thalys.com

Par Guy Gilsoul

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