En 1830, les 100 000 habitants de Bruxelles, pour la plupart des petites gens, y parlent le flamand ou, plutôt, le brusseleer , ce sabir très local aux racines indéniablement flamandes. Cent ans plus tard, on compte un million d’habitants dans la capitale, nombre de Wallons et de Flamands y ayant pris racine, aux côtés des Bruxellois de souche . Et tout ce petit monde parle, désormais, le français. Du moins officiellement et en public. Car le français est alors la » langue de l’avenir « , auréolée de prestige et parlée dans les milieux d’affaires. Mais quelques intellectuels flamands ne l’entendent pas de cette oreille. L’association Vlamingen vooruit voit le jour, en 1858, regroupant le » peuple de Bruxelles « , le vrai, le flamand, principalement composé de progressistes, de libéraux et de socialistes. Son objectif ? Résister à la francisation de Bruxelles. Déjà.
Puis vient la guerre 1914-1918. Une des branches du Mouvement flamand, les » activistes « , collabore avec l’occupant. Et qu’imaginent ces tristes sires ? Qu’en cas de victoire allemande Bruxelles serait déclarée capitale de la Flandre, et Namur, capitale de la Wallonie. Déjà.
Après la guerre, le problème linguistique se fait de plus en plus aigu. En 1932, les lois linguistiques consacrent l’unilinguisme en Flandre et en Wallonie, ainsi que le principe du bilinguisme à Bruxelles. » Cette date correspond à un tournant important, souligne Xavier Mabille, président du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). A partir de ce moment, en effet, il est clair, pour l’ensemble du Mouvement flamand, que la Flandre inclut Bruxelles et ce même si sa population est majoritairement francophone. Inversement, pour le Mouvement wallon émergent, la Wallonie n’inclut pas Bruxelles. » Déjà.
En 1954, sur la base des résultats d’un recensement de la population effectué en 1947, le nombre de communes bruxelloises bilingues passe de 16 à 19. Le territoire unilingue flamand se voit donc amputé de trois communes : Ganshoren, Berchem-Sainte-Agathe et Evere. De quoi donner le tournis aux responsables du Mouvement flamand horrifiés par la progression de cette olievlek (tache d’huile) francophone. Dès ce moment, Bruxelles-la-convoitée devient Bruxelles-la-suspecte, Bruxelles-la-dangereuse. Tellement dangereuse et tellement traître, la garce, que les responsables politiques flamands refuseront, à l’avenir, qu’y soit encore organisé le moindre recensement linguistique. A la fin des années 1950, le Vlaams Aktiekomitee voor Brussel en de Taalgrens (Vak), large plate-forme de coordination des organisations culturelles flamandes, voit le jour. Le trésorier ? Un jeunot nommé Wilfried Martens. Son leitmotiv ? S’occuper de Bruxelles et du sort des Flamands qui y vivent. Au début des années 1960, le Vak organise deux grandes marches sur Bruxelles. Ces pressions du Mouvement flamand contribuent, notamment, à l’adoption des lois de 1962-1963, fixant un nouveau tracé de la frontière linguistique et instaurant un régime de » facilités » dans six communes de la périphérie bruxelloise. » Il est clair, dès lors, pour la Flandre, que Bruxelles ne pourra plus s’étendre, constate Xavier Mabille. Qu’elle devra vivre dans les limites qui lui ont été imposées. » Déjà.