Pour sa dernière exposition comme directeur du Musée des arts contemporains du Grand-Hornu, Laurent Busine nous conte la légende de saint Georges. En confrontant les merveilles de l’art ancien à l’imaginaire de quatre artistes contemporains.
Laurent Busine n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il peut, à travers une exposition, raconter une belle histoire. Conteur adroit, il a l’art de porter sur le terrain du familier, l’une ou l’autre grande question. Et quand il ne peut s’appuyer sur un mythe ou une légende, il l’invente puis en organise la découverte à partir d’oeuvres posées comme autant de jalons du récit. L’art contemporain n’y est pas seul invité. La curiosité de Busine l’a mené vers l’art populaire, l’art brut, l’art ethnique ou encore les » curiosa « . Si, lors de sa première exposition en tant que directeur du MAC’s (L’herbier et le nuage), il avait déposé quelques pièces anciennes parmi un cortège d’opus actuels, il fait, cette fois, avec saint Georges comme héros, exactement le contraire en instillant parmi les sculptures, peintures, vitraux, gravures, dessins mais aussi enluminures, reliquaires et autres parures réalisées entre le XIVe et le XIXe siècle, quelques rares oeuvres signées par ses » proches » : Giuseppe Penone, Angel Vergara, David Claerbout et Luc Tuymans.
Le thème lui tenait à coeur depuis de nombreuses années. D’abord, parce qu’en tant que Montois, il est de ceux qui ne manquent jamais le Doudou. Et donc, le combat entre le saint patron de la ville et le fameux dragon. Ensuite, parce que depuis des années, il traquait les représentations de saint Georges et en collectionnait les images dans une boîte à chaussures. Lorsque Mons fut élue capitale européenne de la culture, il sut que, grâce aux somptueux budgets européens alloués pour l’occasion, il allait réaliser un vieux rêve.
Restait à peaufiner le projet (quatre années de recherches) et convaincre les prêteurs. Son association avec Manfred Sellink, directeur du musée des Beaux-Arts d’Anvers et spécialiste mondial de la peinture du XVIe siècle, allait lui apporter son érudition et son appui au moment des demandes de prêts d’oeuvres millésimées et fragiles. Certes, on ne verra pas, au Grand-Hornu, le saint Georges préféré de Busine – peint par le Vénitien Vittore Carpaccio – et pas davantage le chef- d’oeuvre de Paolo Uccello conservé à la National Gallery, à Londres. Mais à leur place, un superbe et bien troublant Tintoret (venu de l’Academia de Venise), un Luca Signorelli original (Amsterdam), le reliquaire de Charles le Téméraire tout en or, argent et émail (fierté du trésor de la cathédrale de Liège) ou encore l’un ou l’autre dessin de Fra Bartolomeo des collections du musée Boijmans de Rotterdam. La qualité des sculptures du cavalier sur son cheval est à son tour un des points forts du parcours.
Saint Georges en Batman des temps anciens
Le combat entre l’homme et la bête est aussi vieux que le monde. Mais à partir des croisades, la légende de saint Georges se répand. Au XIIIe siècle, Jacques de Voragine l’inclut dans ses vies des saints martyrs de la chrétienté. Son ouvrage, La légende dorée connaît un succès immédiat et durable et devient la référence incontournable pour tous les artistes jusqu’au XVIIIe siècle. L’histoire est donc désormais fixée. Elle raconte l’aventure d’un soldat chrétien, Georges, qui aurait vécu au IIIe siècle. A l’approche d’une ville dans laquelle se sont réfugiés les habitants (un détail que commente Luc Tuymans dans un vaste tableau en grisaille faisant face à une cavalcade de saint Georges), il aperçoit une jeune fille en pleurs. En cause, la présence d’un dragon qui, en échange d’une paix toute relative avec le petit royaume, exige qu’on lui fournisse chaque jour, un mouton. Hélas, du troupeau, il ne reste bientôt rien. Du coup, ce sont des enfants que la bête réclame…
Le roi décide alors de recourir au tirage au sort. Las, sa propre fille se voit désignée et aussitôt abandonnée auprès de la grotte de la bête. N’écoutant que son courage (mais implorant l’aide de Dieu), le soldat, d’un coup de lance, terrasse le dragon. Il n’est donc pas mort. Georges ne terminera le travail qu’à une seule condition : que le peuple se convertisse. Voilà le héros. Le saint qui deviendra, comme à Mons, protecteur de nombreuses cités et de quelques associations professionnelles. Dans l’exposition, on découvre comment, depuis les gens du peuple (les insignes en plomb, bracelets et chapelets ainsi que sculptures processionnelles et ex-voto) jusqu’aux puissants (Charles le Téméraire et la famille des Habsbourg), ils furent légion à s’identifier au super-héros casqué.
Les choix scénographiques
Le récit proposé par Busine est moins celui de la légende proprement dite que les nombreuses variations dont elle a été l’objet au fil des siècles et des interprétations. Et de souligner alors, dans une présentation soignée, variée et en grande partie déterminée par le caractère même des très (trop) nombreuses pièces, combien, par l’un ou l’autre détail, se métamorphose l’histoire qui, parfois même, ignore le combat pour magnifier seulement les scènes de martyre. L’éclairage, une douce pénombre, convient au thème. Çà et là, de petits textes actualisent le propos et invitent le visiteur à gagner d’autres rives, plus philosophiques. Quant à la présence de l’art contemporain, elle agit à la manière d’un commentaire.
Un exemple. Le parcours commence dans l’immense espace de la grange au foin. Le vide et la pénombre dominent. Face au visiteur, se côtoient la châsse rouge de saint Georges datant du XVIIe siècle (conservée dans l’église Sainte-Elisabeth de Mons) et un buste naturalisé de crocodile du Nil associé par les croisés au fameux dragon. Isolée sur le long mur, lui répond, à la manière d’un avertissement, une photographie de Lewis Caroll immortalisant avec la complicité de deux enfants la scène de mise à mort du dragon. C’est alors que l’art contemporain intervient. Tout au fond de la grange et au-delà d’un rideau noir entrouvert, on découvre une vidéo signée David Claerbout. Le rythme est lent. La caméra se promène au coeur d’une forêt profonde qui pourrait être le lieu de bien des contes et légendes. Mais après un long moment d’errance, la caméra s’éloigne, prend de la hauteur. La forêt n’était qu’un petit bois entouré par les champs. De cette façon, Busine, avec la complicité de l’artiste, rappelle qu’avant d’être une réalité historique, les hauts faits de saint Georges sont d’abord, le fruit de nos imaginaires.
L’homme, le dragon et la mort. La gloire de saint Georges, au MAC’s, au Grand-Hornu. Jusqu’au 17 janvier 2016. www.mac-s.be
Par Guy Gilsoul