La Belgique laisse tomber le Rwanda en plein génocide

Le gouvernement Dehaene décide de retirer les forces belges déployées à Kigali. Elles auraient pu empêcher l’escalade de la violence.

L’attitude du gouvernement Dehaene pendant le génocide rwandais apparaît comme une page sombre de la politique extérieure du pays. Quelques jours après l’assassinat, le 7 avril 1994, à Kigali, de dix paras de Flawinne, un Conseil des ministres restreint ordonne le retrait unilatéral du contingent belge de la Minuar, la mission de l’ONU au Rwanda. Le 19, le détachement quitte le pays des Mille Collines, où se poursuivra pendant des semaines l’extermination des Tutsi et des Hutu modérés.

Le Vif/L’Express : La décision de retirer les Casques bleus belges peut-elle être qualifiée de  » stratégie à la Ponce Pilate  » ?

Filip Reyntjens (politologue, spécialiste de l’histoire du Rwanda) : C’est pire que cela ! Non content de retirer nos troupes du Rwanda en plein génocide, le gouvernement Dehaene a entrepris des démarches au Conseil de sécurité de l’ONU pour convaincre ses membres de mettre fin à l’ensemble de la Minuar. Willy Claes, ministre des Affaires étrangères de l’époque, est intervenu personnellement auprès des Américains pour les persuader qu’il n’y avait pas d’autre solution qu’une réduction de la mission à sa plus simple expression. Washington était facile à convaincre : six mois plus tôt, la débâcle américaine en Somalie avait déjà porté un coup rude aux politiques de maintien de la paix.

Le gouvernement belge était-il conscient des conséquences de sa décision ?

Sans aucun doute. Le bataillon belge constituait l’épine dorsale des forces onusiennes. Le gouvernement savait qu’un retrait signifiait l’abandon de la population rwandaise à son triste sort. Dès le 11 avril, des voix, dont la mienne, ont plaidé pour un maintien des troupes. En vain. Le syndrome du  » body bag « , du sac mortuaire, a été le plus fort. Or le drame ne s’est pas arrêté aux frontières du Rwanda : après le génocide, le conflit s’est déplacé en territoire congolais, où se sont déroulées deux guerres effroyables. La dernière n’est pas encore tout à fait achevée.

Peut-on dire qu’un maintien des troupes belges aurait changé le cours de l’Histoire ?

Bruxelles et Paris auraient pu empêcher l’escalade de la violence qui a débouché sur le génocide. En plus des Casques bleus belges déployés au Rwanda depuis des mois, des troupes françaises et belges ont été envoyées sur le terrain dès les 9 et 10 avril 1994. Il était possible, certes au prix de quelques pertes, de désarmer les milices et d’éviter l’extension des massacres en dehors de Kigali. Ni l’armée rwandaise ni les milices Interahamwe ne faisaient militairement le poids. Mais la Belgique a préféré évacuer les expatriés et quelques rares Rwandais. Puis on a retiré nos troupes et fermé la porte sur un peuple plongé dans l’horreur la plus totale.

La Belgique a tout de même fini par faire son mea culpa.

Pas sous Jean-Luc Dehaene, qui a toujours dit que si c’était à refaire, il reprendrait la même décision, celle du retrait des troupes. De même, Willy Claes a justifié son attitude et a reporté la responsabilité du désastre sur l’ONU. Je ne suis pas du même bord politique que Guy Verhofstadt, mais je dois saluer son honnêteté. Il n’était pas au gouvernement au moment du drame, mais il a assumé sa part de responsabilité. Choqué par ce qu’il a découvert en 1997 en tant que rapporteur de la commission parlementaire Rwanda, il a estimé nécessaire, le 6 avril 2 000, alors qu’il était devenu Premier ministre, de présenter des excuses au Rwanda au nom du peuple belge.

ENTRETIEN : O.R.

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