La Belgique, eldorado des frontaliers

Michel Delwiche Journaliste

Quand on vit à proximité de la frontière franco-belge, il vaut mieux habiter en France et travailler en Belgique qu’habiter en Belgique et travailler en France : la différence de salaire net est de l’ordre de 30 %. Un accord entre les deux pays est toutefois intervenu, et la fin de cette situation est programmée.

Chaque matin, ils sont environ 35 000 à passer de France en Belgique, tandis que 6 000 font le chemin inverse. Pour le boulot. Ce sont les  » travailleurs frontaliers « , comme on les appelle dans le jargon administratif (et surtout fiscal), c’est-à-dire des personnes qui vivent à proximité de la frontière et travaillent de l’autre côté de celle-ci, dans une bande d’environ 20 kilomètres de part et d’autre.

Ils ne sont pas égaux. Ceux qui viennent travailler en Belgique y paient leurs cotisations sociales, mais leur impôt sur le revenu est dû en France. A l’inverse, ceux qui vont travailler en France y paient leurs cotisations sociales, mais sont taxés en Belgique. Or l’impôt sur les revenus est beaucoup plus élevé chez nous, tandis que les prélèvements sociaux sont plus importants en France. Le résident belge qui travaille en France est donc perdant-perdant puisqu’il paie plus d’impôts et plus de cotisations sociales. Le résident français qui travaille en Belgique est gagnant-gagnant, puisqu’il paie moins d’impôts et moins de charges sociales.

Ce n’est pas une question de nationalité. On compte parmi les résidents français qui travaillent en Belgique de nombreux anciens habitants du royaume qui ont un jour décidé de déménager de l’autre côté.  » Je travaille chez NGK à Baudour (pots catalytiques) depuis 1989, explique le Belge Philippe Brassart, mais comme je trouvais que je ne gagnais pas assez, j’ai commencé à chercher un autre boulot, dans la région et ailleurs, à Mons ou à Bruxelles. Sans succès. En 1999, j’ai décidé de garder mon emploi actuel, mais je suis allé habiter en France, à Onnaing, juste de l’autre côté de la frontière, à un quart d’heure d’ici, pour bénéficier du statut de frontalier. Aujourd’hui, je gagne de 400 à 500 euros de plus chaque mois que mes collègues qui sont restés en Belgique. Une différence qui se marque également sur le 13e mois, les congés payés, ou encore les heures supplémentaires. Et il y a d’autres avantages : en France, par exemple, il n’y a pas de taxe annuelle de circulation sur les véhicules, vous ne payez qu’une fois, à l’immatriculation. « 

Horizon 2033

Pas de jalousie de la part des collègues de boulot ?  » Franchement, non. Ils savent qu’ils pouvaient en faire autant.  » Mais ils ne le pourront plus. Après des années de négociations, la France et la Belgique sont en effet arrivées à un accord pour mettre fin à ce statut, d’ici à 2033, progressivement. Philippe et ses collègues belges, à condition de s’être domiciliés en France avant le 31 décembre 2008, pourront tranquillement continuer à profiter de leur statut avantageux jusqu’à l’horizon de la retraite, mais pour les autres, c’est trop tard. Par contre, les frontaliers français, eux, peuvent encore s’inscrire dans le système jusqu’à la fin de 2011.

Pourquoi cette date lointaine de 2033 ? C’est le fruit du compromis entre la Belgique et la France, cette dernière n’étant guère enthousiaste à l’idée de renoncer aux impôts et cotisations prélevés sur 35 000 salaires, et en même temps de voir ses chiffres de chômage augmenter dans des départements qui ne sont pas les plus riches. Les travailleurs français, en majorité peu qualifiés, qui passent quotidiennement la frontière ne le feraient peut-être plus sans le bonus fiscal.

Dans l’autre sens, pour les quelques milliers de résidents belges qui travaillent en France, c’est une toute bonne opération puisque leurs salaires seront taxés en France, en application de la règle générale qui veut que, comme pour les cotisations, les salaires soient taxés par le pays où le travail est effectué. Ils ne devront plus s’acquitter que des additionnels communaux. Cette partie de l’accord entre Etats étant applicable au 1er janvier 2007, ils pourront même réclamer le remboursement des impôts payés pour les années précédentes.

Le grand perdant, c’est le fisc belge. La France s’engage à lui payer 25 millions d’euros par an, une somme vraiment modeste, et qui diminuera au fur et à mesure que baissera le nombre de frontaliers français. C’est dérisoire, reconnaît-on au cabinet du ministre des Finances Didier Reynders, mais le marché français du travail va devenir plus intéressant pour les frontaliers belges. Si, en conséquence, le chômage belge diminuait, la contrepartie serait avantageuse.

MICHEL DELWICHE

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