La Belgique occupe une position centrale dans le réseau des voies navigables européennes. Ce rôle sera renforcé si le projet de canal Seine-Nord Europe se réalise. Mais la Wallonie doit être attentive à ne pas se faire doubler, ni par la France ni par la Flandre.
L e projet de liaison Paris-Anvers-Rotterdam par voie d’eau refait surface. La France qui, effrayée par le coût de l’opération, avait ralenti le dossier, est maintenant prête à repartir, grâce, entre autres, à la perspective d’un cofinancement européen à 40 % sur la période 2014-2020 (pour 6,2 % jusqu’à présent). La France, la Flandre et la Wallonie se sont accordées pour déposer un projet global à l’Europe, qui a inscrit cet axe fluvial dans ses priorités d’interconnexions transfrontalières (voir encadré).
Le plus gros des travaux consistera à creuser un nouveau canal à grand gabarit (pour des bateaux de 185 mètres et 4 400 tonnes) entre le bassin de la Seine et celui de l’Escaut, soit 106 kilomètres entre Compiègne et Douai. Le budget initial côté français était de 4,3 milliards d’euros pour ce canal Seine-Nord Europe, ses sept écluses et ses quatre plates-formes portuaires (25 000 emplois nouveaux envisagés à l’horizon 2025), mais avait dérapé jusqu’à plus de 7 milliards. Le président François Hollande a fait réétudier le dossier, et le budget est redescendu à 4,5 milliards, en renonçant à un partenariat public-privé impossible à boucler, en revoyant à la baisse certains ouvrages d’art, et en postposant la réalisation des plates-formes. La France a pris exemple sur le canal Albert (qui fêtera en juillet et en grande pompe son 75e anniversaire à Liège) pour démontrer l’utilité publique de cette liaison. Si tout se déroule comme prévu, les travaux pourraient commencer en 2015, et le canal pourrait être ouvert en 2022.
L’intérêt pour la région parisienne et le Nord-Pas-de-Calais, ainsi que pour les ports de la façade atlantique (Le Havre, Dunkerque, Zeebruges, Anvers, Rotterdam), est assez évident. Il l’est moins, à première vue, pour la Wallonie. Sauf si elle place dans le projet global d’autres aménagements concernant directement son propre réseau. C’est ce qui est prévu, et la Région dispose d’un argument redoutable pour faire entendre sa voix : la Lys est un des maillons de cette liaison Seine-Nord Europe, et, avant d’arriver à Courtrai puis à Gand où elle se jette dans l’Escaut, elle traverse la commune de Comines-Warneton, enclave wallonne en Flandre, le long de la frontière française, où la rivière doit être aménagée.
Le canal envasé
Comme l’expliquait au parlement wallon le député Jean-Luc Crucke (MR) : » Comines aujourd’hui, dans ce dossier, est une pierre angulaire. Les Flamands peuvent faire ce qu’ils veulent comme travaux, si la Wallonie ne travaille pas sur Comines, cela ne servira à rien. » Pareil pour la France selon le ministre wallon des Travaux publics Carlo Di Antonio (CDH) qui, sans nier l’importance économique pour la commune, estime que » l’intérêt de ces travaux pour la Wallonie étant limité, ils ne devraient être réalisés que si la France avance dans la remise en navigation du canal Pommeroeul-Condé « . Celui-ci, fermé à la navigation depuis 1992 pour cause d’envasement, constitue actuellement un verrou entre Mons et Valenciennes. Sa remise en service ouvrira la route de la dorsale wallonne (Meuse, Sambre, canal du Centre, canal Nimy-Blaton) vers Lille et Dunkerque via l’Escaut français, et vers Paris par le canal Seine-Nord Europe. La Wallonie a même marqué son accord pour financer à 50 % les travaux de dévasement côté français, estimant qu’elle était en partie responsable de l’état du canal. Ce chantier devrait être effectué en 2015, les permis français sont en cours.
Autre goulot concerné par la programmation 2014-2020 : la mise au gabarit 2 000 tonnes de l’Escaut, dans la traversée de Tournai, pour permettre aux bateaux venant de Wallonie de rejoindre le port de Gand et l’estuaire de l’Escaut. La dorsale wallonne, elle aussi, devra passer à 2 000 tonnes, ce qui nécessitera de nouvelles écluses sur le canal du Centre et la Sambre, de même que sur le canal Charleroi-Bruxelles. En 2020, ce sont ainsi 330 kilomètres de voies navigables wallonnes (sur un total de 450) qui auront été portés à ce gabarit.
Importance économique
Le permis wallon pour la mise au gabarit 4 400 tonnes de la Lys à Comines dépend de l’attitude de la France, et de son adhésion au projet international dans son ensemble, y compris les exigences wallonnes. Car, même si personne ne s’aventure à le formuler de façon si peu diplomatique, la Wallonie ne laissera pas tout le trafic filer par la Lys vers Gand et Anvers, les Pays-Bas et l’Allemagne (et inversement) alors qu’elle compte sur la voie d’eau et les ports autonomes pour développer ses industries et valoriser les centaines d’hectares de terrains disponibles le long de l’eau. » Un canal, ce n’est pas simplement une autoroute qui mène d’un endroit à un autre, explique le ministre : c’est un long zoning économique. »
La France, qui aura la plus grosse addition à régler (4,5 milliards), ne verrait pas d’un mauvais oeil que la Flandre et la Wallonie viennent la soulager, puisqu’elles bénéficieront du nouveau canal. Le raisonnement est tout autre côté wallon, où la facture devrait se limiter à 270 millions, » parce que nous, nous avons fait les investissements au siècle dernier, dont la France pourra à son tour bénéficier « , conclut Carlo Di Antonio.
Par Michel Delwiche