KIEV-CARACAS : LE VOL DE LA TEMPÊTE

Les régimes postcommunistes ne sont pas à la fête. La révolte ukrainienne contre Viktor Ianoukovitch a couvert de ses explosions la colère de la jeunesse vénézuélienne contre Nicolas Maduro, triste apparatchik et successeur de Hugo Chavez. Pourtant, le déchaînement de la population ne cesse de remplir les rues de Caracas et de plusieurs autres villes, provoquant une vague de répression violente qui, comme à Kiev, est le fait des forces de l’ordre et de milices à la solde du régime, en l’occurrence les gangs paramilitaires appelés  » colectivos « . Tirs à balles réelles, tabassages à mort, arrestations en masse, plusieurs cas de torture… Le peuple vénézuélien n’a pas le bon goût d’apprécier les privations perpétuelles qu’on lui impose depuis des années ni le taux record d’inflation qu’il subit irrémédiablement : 56 % en 2013 ! Le pays, qui dispose des réserves pétrolières les plus importantes de la planète, est désormais un champion international de la pénurie. Celle de papier hygiénique, devenue proverbiale, symbolise toutes les autres – manque de denrées alimentaires ou de biens de consommation -, car l’économie administrée du Venezuela produit de moins en moins, importe de plus en plus et se trouve complètement dépendante du pétrole et de ses cours mondiaux.

Les prix des marchandises au marché noir sont inabordables, la corruption règne à tous les niveaux, le contrôle des changes empêche de voyager comme de s’approvisionner à l’étranger, si bien que la tentation de se servir soi-même, dans une société où les armes circulent en grand nombre, provoque une criminalité bondissante. Résultat, le Venezuela est passé de 5 000 homicides par an à la fin des années 1990 à 25 000 actuellement, sans parler des enlèvements, des innombrables agressions de toutes sortes et de la recrudescence affolante des vols. De quoi nourrir une indignation qui touche maintenant toutes les couches de la population, des milieux aisés aux plus démunis, en passant par les classes moyennes, tous exaspérés par quatorze années d’un régime qui ne cesse de chercher des boucs émissaires alors qu’il est de toute évidence responsable d’un véritable désastre économique et social. Pour preuve, le soulèvement des étudiants prend toujours plus d’ampleur et fait surgir de fortes têtes aux profils de leader. Un contexte explosif se cristallise de jour en jour. Dans l’opposition, qui se durcit inévitablement, le mouvement Voluntad Popular de Leopoldo Lopez (lointain descendant du héros mythique de l’Amérique latine Simon Bolivar), présentement incarcéré, prône la pression maximale sur le gouvernement, dans le but de le renverser. Moins radical, Henrique Capriles incarne avec maîtrise une stature d’opposant de plus en plus crédible. Du côté du pouvoir, élu de justesse en avril 2013, le président Maduro, qui a tenu à faire part de sa solidarité avec Viktor Ianoukovitch, se montre autant dépourvu de charisme que d’autorité ; il s’en remet de plus en plus aux militaires, lesquels n’hésiteront devant rien. La menace d’une reprise en main du régime par l’armée n’est pas à écarter.

La révolte vénézuélienne a pris d’ores et déjà une dimension internationale et apparaît comme une nouvelle zone de danger, dépourvue de marge de manoeuvre, dont Barack Obama se serait bien passé : des diplomates américains ont été expulsés de Caracas, CNN est privée de réseau de diffusion, une opération géante de piratage d’Internet par les hackers sans frontières Anonymous a attaqué toute une série de sites gouvernementaux. A l’opposé, les alliés cubains du système Chavez-Maduro se montrent particulièrement décidés à soutenir le pays frère, et l’on ne compte plus les agents envoyés au Venezuela par La Havane. Dans cet inconcevable conservatoire de la guerre froide en version tropicale, les seconds couteaux, qui règnent hébétés sur les décombres des fondateurs, se serrent les coudes en mâchonnant les reliefs vermoulus des républiques populaires, inventées dans un temps devenu inimaginable.

Christian Makarian

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