Khaled : la vie du raï

Philippe Cornet Journaliste musique

Rencontre avec le titi de Didi requinqué par Ya-Rayi, nouvel album fidèle à ses racines algériennes

CD Ya-Rayi, chez Universal. En concert dans le cadre de l’Audi-Jazz le 8 novembre à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles. Tél. : 02 548 24 24.

O surprise ! Le premier morceau du nouvel album de Khaled commence par quelques accords de piano délicat échappés d’une fugue inédite de Bach. Assez vite, une section rythmique rejoint le clavier et, sur foi d’un accordéon langoureux, Khaled emballe Mani Hani de sa voix d’éternel crooner oriental. Ce premier extrait donne la mesure de Ya-Rayi, album joyeusement ancré dans les racines de l’ex-Cheb, qui dégage un parfum agréable de fraîcheur. Hormis la plage titulaire où Don Was refait sonner les cuivres à la manière de Didi (qu’il emballa jadis), le disque est passé dans les mains de Philippe Eidel et d’une flopée de musiciens, modernes et traditionnels.

Au c£ur des mélodies scintillantes, Khaled chante les notes fruitées en ondoyant comme un dauphin de cabaret, la voix toujours mouillée d’émotion. Les petites pâmoisons qui s’emparent de l’auditeur à l’écoute de El-H’mam ou de Ya galbi sont autant de signes qui devraient rassurer sur la  » jeunesse éternelle  » d’une musique à laquelle l’ex-titi oranais fait volontiers contempler son passé.  » En studio, pour un titre, j’ai réuni Maurice Médioni et Blaoui. Le premier, mythique pianiste juif d’Algérie, désormais installé à Marseille, et le second, habitant toujours Oran, ne s’étaient plus croisés depuis quarante ans ! Médioni pète le feu, alors que Blaoui semble niqué par le terrorisme et toutes les douleurs de l’Algérie. En les voyant ensemble, j’ai failli pleurer…  » La reprise de H’Mama, tube écrit par Blaoui il y a un demi-siècle, est sans nul doute l’un des moments forts du disque : introduit par une mélodie agile de Médioni, aidé par les Cordes du Caire, le morceau évoque toutes les nostalgies et toutes les cicatrices du temps qui passe. Khaled est resté fidèle à l’esprit du raï : ses textes pratiquent davantage la métaphore que la chronique politique ou sociale.  » Le message doit être passé en rigolant, avec les mots justes. Quand je parle du Hezbollah, littéralement le  » parti de Dieu « , je dis que j’aimerais que ces gens me donnent le numéro de fax de Dieu pour que je puisse directement lui poser les bonnes questions…  » Le disque paraît moins vaporeux que les réponses parfois candides ou délirantes de Khaled pendant l’interview.

Ainsi, le sujet Universal û sa maison de disques depuis 1990 û engendre un récit allumé où Khaled mêle, dans le désordre, Pascal Nègre (le boss), le sécessionniste Johnny Hallyday û  » qui leur a mis le doigt dans le c… ( sic)  » û et Olivier Caillart, l’ex-directeur artistique qui lui a déclaré la guerre. Il est patent que le chanteur n’a pas digéré que son album Kenza û sorti en 1999 û n’ait pas bénéficié de toute l’armada promotionnelle qu’Universal avait jusqu’alors déployée pour l’auteur de Didi et Aïcha. Un changement de label plus tard û il est passé de Barclay à AZ, toujours chez Universal û, il sait que son avenir dans l’industrie dépend grandement de l’impact commercial de ce disque-ci. Si Khaled reste l’un des rares artistes  » français  » à s’exporter, il est conscient que les concerts rémunérateurs dans les Etats du Golfe ou d’ailleurs sont liés aux modes qui, par définition, laissent les demi-vainqueurs derrière elles. Lorsqu’il dit, toujours à propos de ses (anciens) rapports tendus avec Universal, qu’il n’est pas  » un bonhomme qui court après la justice « , on ne résiste pas à l’envie de lui répliquer que  » c’est plutôt la justice qui court après lui « . Allusion aux accusations sur les violences supposées à l’encontre de son épouse, mère de ses trois filles et désormais manager de sa carrière. Khaled, évidemment, nie tout et réitère son engagement féministe :  » Je chante la femme depuis que je suis tout petit… En Algérie, c’est la femme qui a des couilles, c’est elle qui combat le terrorisme.  » Khaled est probablement sincère. Ce qui ne l’empêcha pas, quatre jours après notre rencontre, d’être mis en garde à vue pour  » non-paiement de pension alimentaire  » à une ancienne partenaire dont il aurait eu un enfant.  » L’enfant terrible du raï  » devrait néanmoins être sorti de là pour son prochain concert bruxellois en novembre…

Philippe Cornet

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