Adapter au cinéma Le Scaphandre et le papillon, où Jean-Dominique Bauby racontait, peu avant sa mort, son locked-in syndrome, ne relevait pas du seul défi artistique. Histoire d’un projet qui a bien failli capoter.
A l’origine, Le Scaphandre et le papillon est un livre écrit avec un £il. Celui de Jean-Dominique Bauby, rédacteur en chef au magazine français Elle, victime, en décembre 1995, d’un accident cérébro-vasculaire qui le laissera entièrement paralysé, à l’exception de sa paupière gauche. Grâce à elle, il communique avec ses interlocuteurs à l’énoncé d’un alphabet, dont les lettres sont classées selon leur fréquence d’utilisation : ESARINTU… A chaque voyelle ou consonne voulue, Bauby cligne, et les mots se composent. Il lui faudra 200 000 battements de paupière pour écrire son livre, » carnets de voyage immobile « , comme il l’appelait, sorti le 5 mars 1997. Quatre jours plus tard, Jean-Dominique Bauby meurt.
Aujourd’hui, Le Scaphandre et le papillon (voir la chronique cinéma, page 71) est un long-métrage de Julian Schnabel, peintre reconnu, réalisateur de films hantés par des artistes exclus ou persécutés (Jean-Michel Basquiat dans Basquiat, Reinaldo Arenas dans Avant la nuit). Bauby, atteint du locked-in syndrome (LIS, » syndrome d’enfermé à l’intérieur « ), appartient malgré lui à cette catégorie. Son destin et le livre qui en découle passionnent Schnabel. Mais, comme l’a écrit l’auteur défunt, » on ne badine pas avec les chefs-d’£uvre « , a fortiori quand ils impliquent des personnes existant ou ayant réellement existé. Explications.
Le Scaphandre et le papillon (Robert Laffont), est vendu à 370 000 exemplaires et traduit dans 30 pays. Dans ces conditions, les droits d’adaptation sont évidemment très vite achetés. Pas par n’importe qui : Steven Spielberg et sa société DreamWorks. Sa fidèle collaboratrice Kathleen Kennedy développe le projet. Le metteur en scène Scott Hicks (Shine) est intéressé. Anthony Minghella (Le Patient anglais), aussi. Avant de se décider, Kennedy confie l’écriture du scénario à Ronald Harwood (Le Pianiste).
1999. Kennedy imagine Johnny Depp dans le rôle de Bauby et pense comme réalisateur à Julian Schnabel, avec qui l’acteur tourne Avant la nuit. Schnabel est ravi, à un souci près : » Je ne pouvais imaginer cette histoire, d’une sensibilité éminemment française, interprétée par des comédiens anglo-saxons, dit-il. Si encore Johnny avait su parler français… » Kennedy pense alors à Eric Bana, à George Clooney… Mais rien ne colle. Le projet est en sommeil. Jusqu’au tournage de Munich, de Steven Spielberg. La productrice en revient emballée par un acteur Frenchy : Mathieu Amalric.
Tourné en moins de deux mois
De son côté, Schnabel l’avait déjà repéré dans Fin août, début septembre, d’Olivier Assayas, et ne cessait de répéter que Bauby et Amalric ne faisaient qu’un. » Quand Kathleen Kennedy m’a demandé de lire le scénario, je suis tombé sur le cul, se souvient Mathieu Amalric. J’avais bien dû lire le livre un million de fois ! Mais je craignais qu’entre les mains des Américains on ne fasse de Bauby un saint et de l’adaptation un mélo tire-larmes. » Quatre jours passés chez Schnabel, à Long Island (New York), le rassureront : » Je me suis aperçu que Julian avait un rapport affectif avec cette histoire. Comme pour Jean-Dominique, il existait un lien très fort avec son père, qui venait de disparaître. » L’envie du metteur en scène est à ce point appuyée que Pathé accepte, pendant le Festival de Cannes 2006, de reprendre les rênes de la production, lâchés, de guerre lasse, par Kennedy, qui ne se sent pas compétente pour un tournage en langue française.
Le premier tour de manivelle est enfin prévu pour début septembre. A condition que l’ex-femme de Jean-Dominique Bauby, détentrice des droits d’auteur en attendant que leurs deux enfants les récupèrent à 25 ans, valide le scénario. Forte d’une décision de justice (actuellement en appel) stipulant que » le contrat d’édition afférent à l’ouvrage était nul « , elle a littéralement un droit de vie et de mort sur le projet. Avant son accident, Bauby avait signé chez Robert Laffont pour une version moderne et féminine du Comte de Monte-Cristo. A la place de quoi il remit Le Scaphandre et le papillon. Autre livre, autre contrat. Lequel n’existe pas.
» Nous étions entre le marteau et l’enclume, avec la perspective de devoir tout annuler « , confie Léonard Glowinski, producteur délégué chez Pathé. D’autant que la dernière compagne de Jean-Dominique Bauby intervient, elle aussi. Peu présente dans le livre, mais au chevet de son amoureux durant tout son séjour à l’Hôpital maritime de Berck, sur la côte d’Opale, elle est représentée, dans le scénario, comme si désespérée qu’elle n’ose pas venir voir le malheureux. » Il est vrai que Ronald, le scénariste, l’a fait passer pour une lâche, avoue Julian Schnabel. Je n’étais pas d’accord avec cette vision. J’ai apporté quelques nuances, notamment pour montrer à quel point ils s’aimaient. Apparemment, ces petits apports n’étaient pas suffisants à son goût. »
Effectivement, l’intéressée, journaliste à Elle, exige, à la demande de son avocat, que son nom soit changé, et le magazine décide, par solidarité, un black-out total sur le film, au profit d’un sujet sur l’Association du locked-in syndrome (Alis). De son côté, l’ex-femme (dont le nom, dans le scénario, a également été changé) a fini par valider le script. Le Scaphandre et le papillon, d’un coût total de 10,9 millions d’euros (rachat des droits à DreamWorks inclus), a été tourné en moins de deux mois. Certains proches de Bauby l’ont adoré. D’autres, pas. Au-delà de leur émotion ou de leur ressentiment, il appartient désormais au public, dont les yeux plein de larmes n’ont pas fini de cligner. l
Le Scaphandre et le papillon, de Julian Schnabel. Actuellement en salles.
Christophe Carrière