» Je veux diriger des choses très différentes « 

Le talentueux chef d’orchestre français (40 ans depuis le 9 octobre) devient le directeur musical de La Monnaie. Son souhait : défendre et jouer les compositeurs de notre temps. Son ambition : continuer à développer le rayonnement de la maison bruxelloise.

Peter de Caluwe, directeur de La Monnaie exulte :  » Alain Altinoglu est sans aucun doute l’un des chefs d’orchestre les plus remarquables de sa génération. Ses succès à l’opéra dans les grandes maisons lyriques mais aussi dans le répertoire symphonique sont éclatants. Je souhaitais depuis de nombreuses années m’engager dans un partenariat avec lui. Il a dirigé chez nous à plusieurs reprises et chaque fois on ne pouvait que constater les visages rayonnants des membres de l’orchestre tout comme on ne pouvait qu’entendre les brillantes couleurs et sonorités de l’ensemble. Avec Alain Altinoglu, l’alchimie entre chef et musiciens ainsi que la qualité musicale sont au top niveau. J’attends donc notre collaboration avec une grande impatience.  » Un enthousiasme parfaitement partagé par l’intéressé !

Le Vif/L’Express : Dans quel état d’esprit êtes-vous après cette nomination ?

Alain Altinoglu : Officiellement, je prendrai mes fonctions le 1er janvier 2016. Je suis très heureux. Cette nomination marque pour moi une étape nouvelle et particulièrement enthousiasmante. Je crois que c’est ça que j’attendais… J’aime beaucoup La Monnaie, j’y ai dirigé Cendrillon de Massenet en 2011 et de nombreux concerts symphoniques. Les choix de Peter de Caluwe sont toujours très pertinents, c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai accepté cette fonction. J’ai plein d’envies pour le futur, je veux embrasser le plus de répertoires possible, du XVIIIe au XXe siècle, Mozart, Wagner et Verdi, bien sûr, mais aussi Béla Bartók et Alban Berg. Je veux diriger des choses très différentes.

Allez-vous intervenir dans la programmation ?

Oui. Je crois beaucoup à la démocratie participative. Il faut que nous soyons tous fiers de travailler pour cette maison car ce qui compte, c’est le bien collectif. La saison 2015-2016 a été bien entendu programmée avant ma nomination. A l’avenir, je voudrais poursuivre, en collaboration avec Peter, une programmation innovante tant dans le domaine lyrique que symphonique. Il est très important de défendre et de jouer les compositeurs de notre temps. La musique moderne est très éclectique, les styles sont extrêmement différents et il est intéressant de montrer ce qui existe. La Monnaie fait partie des maisons les plus réputées et performantes. Il faut continuer à développer ce rayonnement.

Connaissez-vous le public de La Monnaie ?

J’ai la chance de connaître Bruxelles, j’aime cette ville et j’aime beaucoup les Belges. Le public de La Monnaie est à l’image des Belges et je me sens particulièrement en connexion avec lui. C’est un public extrêmement chaleureux qui a l’air de connaître et d’apprécier l’opéra. Il n’est jamais agressif et toujours bien accueillant, ça peut motiver… J’espère susciter son adhésion et, dans le même élan, attirer de nouveaux spectateurs vers cette magnifique maison qu’est La Monnaie.

Qui a le pouvoir à l’opéra : le chef d’orchestre ou le metteur en scène ?

Je voudrais que chacun apporte sa pierre à l’édifice. A l’opéra, la personne la plus importante et la plus forte, c’est le compositeur. Nous sommes là pour servir l’oeuvre. Il faut être respectueux de l’oeuvre. Le chef et le metteur en scène doivent se mettre d’accord. Dans le passé, il y avait en effet beaucoup de conflits. Aujourd’hui, les choses sont devenues plus faciles. Les gens sont devenus sans doute plus intelligents… (rires).

D’où vient votre passion pour la musique ?

Ma famille, dont le vrai nom est Altounian, est d’origine arménienne, mais a vécu en Turquie. Dans les années 1960-1970, il était très difficile d’être Arménien en Turquie et mes parents ont décidé de quitter le pays. Ils ont hésité entre l’Allemagne et le Canada. Une partie de la famille est arrivée en France dans le courant du XIXe siècle. Ma mère était pianiste et comme elle voulait continuer ses études en France, mes parents sont arrivés à Paris. Pour eux, qui avaient à l’époque 25 ans, c’était dur. En revanche, pour moi, qui suis né en 1975 en France, c’était une grande chance. J’ai grandi dans la musique. Mon père dirigeait le Choeur de l’église arménienne Sainte-Croix-Saint-Jean à Paris. Ma mère m’a donné les premières leçons de piano. A l’âge de 15 ans, j’ai rencontré Nora Gubisch, ma future femme, mezzo-soprano. Très vite, j’ai été branché sur la musique de chambre.

Comme beaucoup de chefs d’orchestre, vous avez commencé par le piano. Vous souvenez-vous du moment où vous avez décidé de diriger ?

C’est venu petit à petit. Entre 15 et 25 ans, j’ai eu la chance de travailler avec les bons mais aussi avec les mauvais chefs d’orchestre. C’est frustrant ! Du coup, j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à la direction d’orchestre. Ce n’est pas la position de leader qui est importante. Ce qui m’intéresse, c’est faire de la musique de mon point de vue.

Vous arrive-t-il encore de vous mettre au piano ?

Bien sûr ! Pour me faire plaisir ! Le contact avec le piano est tellement sensuel. J’accompagne aussi ma femme Nora en récital. Nous allons d’ailleurs nous produire en tandem à Bruxelles, le 23 mai 2016. Je l’accompagnerai dans les Lieder de Liszt et de Brahms et dans les mélodies populaires de Ravel.

En 2015, vous avez dirigé l’Orchestre philharmonique d’Arménie à Erevan. Quelles sont aujourd’hui vos relations avec ce pays ?

Oui, c’était la première fois en quarante ans que je suis allé en Arménie, le pays de mes ancêtres. C’était très émouvant. Il y a une telle misère là-bas, ils manquent de tout, même de chaises. Les gens sont très chaleureux et très accueillants, je vais y retourner et trouver des moyens de les aider.

En décembre 2014, le magazine Vanity Fair publiait la liste des 50 Français les plus influents dans le monde. Vous en faisiez partie. Comment se manifeste ce pouvoir ?

Je ne sais pas comment ils procèdent pour établir ce classement. C’est vrai, je suis impliqué dans beaucoup de projets dans le monde entier. On m’appelle de New York, de Vienne ou de Londres… Je ne comprends pas ce classement. Dire d’une personne qu’elle est la plus riche, d’accord, c’est du concret. L’influence, en revanche, ce n’est pas calculable. Je suis donc très étonné. Mais bon, cela me fait plaisir (rires).

En 2015, vous avez fait vos débuts au Festival de Bayreuth. Seuls deux chefs français, Pierre Boulez et André Cluytens (d’origine belge) ont eu ce privilège…

Les musiciens à Bayreuth me connaissent. C’est un réseau et j’ai été appelé… A Bayreuth, il n’y a que des gens qui adorent Wagner, du technicien au choriste. C’était un grand honneur pour moi de diriger Lohengrin, une expérience unique et magique !

Alain Altinoglu dirigera La grande messe des morts, d’Hector Berlioz, une oeuvre monumentale, les 6 et 7 novembre, à 20 heures, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. www.bozar.be

Entretien : Barbara Witkowska

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