Attaquée sur plusieurs fronts, la ministre CDH répond point par point.
Ce mardi 16 juin, Joëlle Milquet acceptait de répondre à nos questions. L’entretien s’est tenu quelques heures avant les perquisitions qui ont visé son cabinet.
Le Vif/L’Express : L’affaire Özdemir met en cause, aux yeux de certains, votre héritage à la tête du CDH…
Joëlle Milquet : C’est une très mauvaise analyse.
Un faux procès qu’on vous ferait ?
Mais oui ! J’ai fondé le CDH avec un projet humaniste neuf dans le paysage politique. J’ai beaucoup travaillé pour ça, tant à Bruxelles qu’en Wallonie. Par ailleurs, vous ne pouvez pas avoir une cassure d’héritage au sein d’un parti dont la génération en place est celle que j’ai choisie, en qui j’ai confiance, avec laquelle je m’entends très bien. Il y a peu de présidents qui désignent leur successeur et qui investissent dans la nouvelle génération.
Mais dans certains domaines, dont celui de la diversité, vous et Benoît Lutgen avez des sensibilités différentes, non ?
C’est normal et souhaitable qu’il assume une présidence différente de la mienne. Mais de là à voir une rupture de ligne, non. Alors, oui, je pense que la diversité est la base de la société du XXIe siècle. La base de l’humanisme, c’est le respect de l’autre, quel qu’il soit, quelle que soit sa religion, son passé, sa culture et sa langue. Ce sont des valeurs oecuméniques qui doivent intégrer et accepter tout le monde. Moi, je refuse et je ne supporte pas ces adjectifs complètement faux venant du MR – qui n’ont pas pu encore assumer, eux, cette diversité – selon lesquels nous serions communautaristes. Je suis tout sauf communautariste, je ne supporte pas les communautarismes, c’est ce contre quoi je me suis toujours battue. Moi, mon modèle de société, ce que je veux déployer comme diversité, ce n’est pas la multiculturalité qui, selon la logique anglo-saxonne, accole des groupes les uns contre les autres sans qu’ils soient en relation, mais l’interculturalité, la mixité où les gens sont dans un projet commun, respectent les différences mais aussi un socle commun de valeurs sur lesquelles on ne peut transiger, comme l’égalité hommes – femmes, la démocratie…
C’est ce qui a été transgressé dans l’affaire Mahinur Özdemir…
Je parle de manière générale.
Oui, mais là, la question est précise…
Il ne faut pas tout mélanger. Sur nos listes, il y a des personnalités d’origine musulmane mais aussi des Congolais, des Belgo-Belges, des chrétiens, des agnostiques, des athées… Nous choisissions bien nos candidats et, objectivement, nos échevins sont des gens de grande qualité. On doit constamment informer, être pédagogue, dire que ce n’est pas le voile qui est important mais ce que les gens ont dans la tête. Il faut arrêter de stigmatiser au départ d’un morceau de tissu avec une lecture qui n’est pas la bonne. C’est hélas ce qui s’est passé pendant toutes ces années où Mahinur Özdemir a été parlementaire.
On se serait focalisé sur le symbole ?
Voilà ! On n’a jamais vu que son foulard ! Franchement, en 2015, je trouve ça vexatoire de la part des politiques, de la presse, de tout le monde, de résoudre un être humain à un bout de foulard et d’en faire une controverse. D’autant plus… Contrairement à ce que tout le monde pense, je ne connaissais pas Mahinur, elle est venue par la voie communale.
Ce n’était pas de l’électoralisme ?
C’était plutôt du courage ! Dire que ce qui compte, c’est la personne, quelle qu’elle soit : elle est compétente, elle partage nos valeurs et nos projets. On a vécu une très belle aventure humaine avec Mahinur qui, en tant que femme, est vraiment remarquable, même si on peut avoir une divergence de vue sur la problématique du génocide comme c’est le cas pour toute personne de la communauté turque, d’ailleurs : c’est un problème collectif qu’il faut faire évoluer, sûrement… Moi, je pense – et je lance un appel ! – que nous avons besoin d’un pacte entre tous les Belges.
Ce pacte, ça signifie quoi, concrètement ?
Une des conclusions des Assises de l’interculturalité, qui n’a pas été concrétisée, c’est la nécessité de définir le socle de nos valeurs communes. Ce sur quoi on ne transige pas : la non-violence, le respect de l’autre, le fait de pouvoir exercer sa religion, l’égalité hommes – femmes, le respect de la femme, le rejet de l’homophobie, de l’extrémisme et du radicalisme. J’ai toujours voulu mener deux combats en parallèle : la lutte contre le radicalisme et l’extrémisme d’une part, celle contre l’islamophobie et le racisme d’autre part. Cela s’alimente.
Dans vos compétences actuelles, un dossier chaud touche à ça aussi : les cours philosophiques.
C’est la même problématique, en effet. En plein XXIe siècle, j’aborde l’idée d’un cours de citoyenneté et je vois encore des relents du discours complètement irrespectueux pour les personnes qui ont une confession quelle qu’elle soit, d’une laïcité qui n’a pas compris. Où est-on ? C’est quoi, la société du XXIe siècle : celle de l’accueil de l’autre, de la tolérance, du respect de la différence confessionnelle… Mais cette espèce de vision selon laquelle il y a une vérité et que toutes les autres personnes se trompent ou sont manipulées par une secte, il y a des limites. Dans ce débat, j’ai vraiment le sentiment qu’il y a eu une exaltation, une manipulation, notamment du recours devant la Cour constitutionnelle. C’est quand même hallucinant qu’après le drame de Charlie Hebdo, il n’ait pas fallu deux jours pour qu’on dise que le problème, ce sont les cours de religion. On s’est précipité sur le cours de citoyenneté, qu’il faut faire, je trouve ça magnifique, passionnant, j’ai reçu des contributions majeures, on va le faire. Mais ne peut-on pas siffler la fin de la récréation et arrêter ce clivage complètement dépassé » libre examen versus religions » ?
Vous comptez reporter l’Encadrement pédagogique alternatif (EPA) ?
L’EPA, c’est tout simplement une réponse à un arrêt de la Cour constitutionnelle que personne ne voulait. Il est issu d’un seul recours à la suite d’une question préjudicielle posée par un parent de la Fapeo. Je suis légaliste, nous allons y répondre, mais nous ne sommes pas obligés de le faire dans les trois mois parce que c’était une simple question préjudicielle. Mais utiliser ça de façon exaltée, me dire qu’il faut absolument le faire pour 2015 et me soupçonner, parce que je serais CDH, de ne pas vouloir avancer…
Certains sont troublés par votre méthode…
Moi, je ne suis pas là pour regarder les trains passer, je suis là pour les conduire. Cinq ans, ça peut paraître long, mais c’est court pour réussir un vrai mouvement majeur pour améliorer la qualité de l’enseignement. On va vous présenter dans les quinze jours un état des lieux à partir duquel tout le monde comprendra l’urgence de faire ce que je fais. Le rapport d’un consultant met le doigt sur le vrai problème, ce qu’on met dans la tête de nos enfants dans une société numérique, la manière dont ils doivent s’autonomiser… Nous travaillons d’arrache-pied, oui, ça tranche avec les » on se verra dans six mois « , mais moi je suis une active. Et il n’y a pas eu un gramme de critique sur la méthode. C’est le seul moyen de mettre cette Belgique francophone debout demain. C’est vrai que je suis sur plusieurs bandes d’autoroute à la fois, on prépare une stratégie numérique, un plan contre le décrochage et tout le Pacte. Ça, ce sont les vrais enjeux et ils sont fédérateurs parce que la diversité se situe au coeur de tout cela, de même que les valeurs de base !
L’intégralité de l’entretien sur levif.be
Propos recueillis par Olivier Mouton