» Je crois en la sincérité de la N-VA « 

L’un des ténors du monde politique lui a un jour assuré que la Flandre ne serait jamais de gauche.  » Je prouverai le contraire « , a répondu Sven Gatz. Deux décennies et une déconvenue plus tard, l’effronté est devenu ministre. Libéral et  » sans tabou « .

Certains responsables politiques suivent une trajectoire linéaire, d’autres préfèrent les zigzags. Sven Gatz appartient à la deuxième catégorie. Cet avocat bruxellois rejoint au début des années 1990 la bannière nationaliste de la Volksunie. Il y côtoie les stars de la cause flamande, Hugo Schiltz et Vic Anciaux, ainsi qu’un jeune loup prometteur, Bart De Wever. En 2001, lorsque la VU implose, Geert Bourgeois prend la tête de son aile droite et fonde la N-VA. Sven Gatz, lui, adhère avec Schiltz et Anciaux au mouvement Spirit, avant de passer à l’Open VLD. Plusieurs fois pressenti ministre, il ne le devient jamais. En 2011, il quitte la politique pour devenir directeur de l’Union des brasseurs belges. Trois ans plus tard, son parti le rappelle. Le voilà ministre de la Culture dans un gouvernement flamand présidé par Geert Bourgeois. Une vieille connaissance.

Le Vif/L’Express : Comment jugez-vous l’attitude du PS, du CDH et du FDF, qui se sont très vite alliés au niveau régional, sans concertation avec les partis flamands ? Une telle attitude relevait-elle du confédéralisme ?

Sven Gatz : Le PS et le CDH se sont fait piéger par leur propre nervosité. Comme informateur, Bart De Wever a fait du bon travail, il a été très discret, et il s’est rapproché de ce qui a toujours été son objectif : bâtir une coalition de centre-droit. A un moment, cette hypothèse est devenue si concrète que cela a rendu le PS très nerveux. La politique est, espérons-le, faite de beaucoup de sagesse, mais c’est aussi une affaire émotionnelle. En ce sens, je comprends la réaction du PS.

Au MR, certains affirment que, sans la précipitation du PS, la coalition  » suédoise  » n’aurait jamais vu le jour. La tripartite traditionnelle aurait été reconduite et la N-VA serait restée dans l’opposition.

C’est fort possible, mais je n’accorde pas d’importance à ce constat, car en politique, tous les actes sont des réactions à d’autres actes. Après coup, si on joue les Sherlock Holmes et qu’on essaie de débusquer le responsable initial, on ne le trouve jamais, car les responsabilités sont toujours partagées. Pour ma part, je pense que le facteur décisif, c’est plutôt la méthode de travail de Bart De Wever, qui s’est avérée plus efficace qu’on ne le pensait. Début juillet, je n’étais pas encore revenu en politique, et quand j’ai vu comment le PS fonçait pour former les gouvernements régionaux, j’ai pensé : ils suivent vraiment la logique confédérale, qu’est-ce qui leur prend ? Mais ensuite, je me suis informé, et j’ai compris que c’était une réaction au fait qu’une pré- » suédoise  » se constituait déjà.

Bart De Wever vous a surpris positivement ?

Oui, je dois le dire. Le 25 mai, il a gagné les élections, mais il était mathématiquement contournable, et le gouvernement Di Rupo n’avait pas subi un désaveu clair. A partir de là, De Wever était dans une position très difficile. Mais il a su mener sa barque. Quand on n’entend rien d’un informateur, quand il n’y a pas de fuites dans la presse, c’est toujours bon signe, c’est une preuve de maturité.

Croyez-vous à la sincérité de la N-VA, quand elle dit renoncer à ses revendications nationalistes ?

Je ne peux pas prédire ce que la N-VA fera dans quatre ou cinq ans, mais je ne crois pas qu’elle joue un double jeu. Sa décision de se focaliser sur le socio-économique me paraît sincère. Dès le début de sa mission d’informateur, Bart De Wever a veillé à bâtir des éléments de confiance, notamment vis-à-vis du MR. Cela découle d’une stratégie mûrement réfléchie. Rappelez-vous cette sortie de Siegfried Bracke, bien avant les élections : tout à coup, un important député N-VA plaidait pour un gouvernement fédéral axé sur le socio-économique. A ce moment-là, j’étais dubitatif. Pendant les deux semaines qui ont suivi, on a d’ailleurs senti des tensions à l’intérieur de la N-VA. Mais par après, le parti est toujours resté fidèle à cette ligne-là.

Les libéraux, tant francophones que néerlandophones, répètent souvent que la pression fiscale est trop élevée en Belgique. A présent que les socialistes sont dans l’opposition, vous allez baisser les impôts ?

Depuis des décennies, en Belgique, la règle d’or en période de difficultés budgétaires, c’était : 50 % de réduction des dépenses, 50 % de nouvelles recettes. Avec la coalition  » suédoise « , on a d’emblée dit que ce serait 70 % d’économies et 30 % de nouvelles recettes. La balance penche déjà du bon côté. Maintenant, dans un contexte budgétaire hyperdifficile, a-t-on encore de la marge pour baisser les impôts ? Je ne vais pas me précipiter.

En tant qu’ancien de la VU, comment appréhendez-vous le retour du FDF au gouvernement bruxellois ?

Mon opticien m’a dit : c’est terrible, le FDF est de retour ! Je lui ai répondu de ne pas s’inquiéter. Je connais bien Didier Gosuin et Bernard Clerfayt, des hommes pragmatiques, des gestionnaires urbains. Avec eux, on peut trouver un accord sur presque tout. En 2001, alors que je venais de publier un livre sur le libéralisme de gauche, j’ai reçu un coup de fil de Gosuin. Il m’a dit : je me reconnais dans cette idée-là. On a organisé une réunion ensemble, avec des militants du FDF et des personnes de mon entourage, notamment Vic Anciaux, l’ancien président de la VU. Des gens qui s’étaient combattus furieusement dans les années 1960 et 1970 se retrouvaient tout à coup dans la même pièce, et l’ambiance était chaleureuse. Là, j’ai compris que quelque chose était en train de changer à Bruxelles. Une forme de pacification des esprits.

Tout comme Wouter Beke, l’actuel président du CD&V, vous avez fait partie dans les années 1990 du cercle de réflexion Vlaanderen morgen, fondé par Hugo Schiltz, la figure tutélaire de la VU. De quoi s’agissait-il ?

Hugo Schiltz voulait favoriser une réflexion qui allait plus loin que le court terme. Le socle du groupe était VU, mais Hugo allait aussi pêcher des gens à gauche et à droite. A l’époque, je voulais organiser un colloque sur le libéralisme de gauche. Un jour, Hugo m’a remis discrètement de l’argent dans la main, en me disant : voilà, c’est pour te soutenir. Puis, il a ajouté : écoute, fiston, le libéralisme de gauche, ça ne marchera jamais, la Flandre n’est pas de gauche et tu l’apprendras vite. Je lui ai répondu : non, Hugo, je vais te prouver le contraire. Aujourd’hui, je dois admettre qu’il avait raison. La preuve, c’est que Geert Bourgeois est ministre-président, et moi, seulement ministre de la Culture.

Peu avant sa mort, Hugo Schiltz a déclaré qu’il y avait à la N-VA une tendance  » totalitaire « . Le propos d’un homme aigri ? Ou une analyse lucide ?

Dans mes archives, je garde la lettre d’adieu, pleine d’amertume, d’Hugo Schiltz à Geert Bourgeois. Il faut replacer ces paroles dans le contexte de la déchirure de son parti, et même de sa vie. On a toujours cru, Bert Anciaux et moi, qu’Hugo était plus proche des choix socio-économiques de la N-VA. Mais après la dissolution de la VU, il a suivi une autre voie. Hugo était un vrai nationaliste, mais il était aussi très cosmopolite. Je pense que c’est ce cosmopolitisme qu’il ne retrouvait plus dans le projet N-VA. Que dirait-il aujourd’hui ? Nul ne le sait. Pour moi, the proof of the pudding is in the eating. Nous allons voir, maintenant, si la N-VA est capable de gouverner de façon responsable, en donnant la priorité au socio-économique. Les gens changent, parfois. Le fait que Geert Bourgeois soit ministre-président lui confère de nouvelles responsabilités. C’est aussi son intérêt que la coalition  » suédoise  » réussisse.

Entretien : François Brabant

 » Avec Gosuin et Clerfayt, on peut trouver un accord sur presque tout  »

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