James Ensor… avant les masques et la mort

Événement en pays mosan ! Le Palais Curtius présente en exclusivité une cinquantaine de dessins de James Ensor. Des oeuvres de jeunesse qui contiennent en germe toutes les qualités de l’artiste visionnaire.

L’idée d’organiser cette exposition du maître ostendais à Liège est née à… Tournai. En visite au musée des Beaux-Arts de la cité aux cinq clochers, Régine Rémon, conservatrice du BAL (musée des Beaux-Arts de Liège), découvre une farde contenant plusieurs dizaines de dessins de James Ensor (1860-1949). Un ensemble étonnant pour lequel elle s’enthousiasme instantanément.  » Lorsque Jean-Pierre De Rycke, le conservateur de Tournai, m’a montré cette farde… ce fut le coup de coeur. D’emblée, je lui ai dit qu’il fallait les exposer !  » Quelques mois – et encadrements – plus tard, le résultat est là. Dans un climat intimiste, les espaces du Palais Curtius dévoilent une facette d’Ensor méconnue du grand public. Des dessins inédits réalisés entre 1880 et 1900, soit vingt années que de nombreux experts considèrent comme les plus intéressantes de sa carrière.

Déjà tout d’un grand

Dès l’abord s’impose un premier constat : il est surprenant de voir à quel point ces oeuvres – réalisées avec des moyens très modestes (fusain et papier de fortune) – portent déjà en elles des qualités que l’on soulignera, plus tard, dans les peintures les plus notoires d’Ensor. On y retrouve la même énergie créative, la même soif de modernité… mais aussi le côté incisif et le ton caricatural.

Le jeune homme entame son apprentissage artistique dès l’âge de 13 ans. En 1877, il quitte Ostende pour Bruxelles et son Académie des Beaux-Arts. Déçu du milieu officiel, il rentre au bercail deux ans plus tard et installe son atelier dans le grenier de l’immeuble familial. Cet espace aux allures de cabinet de curiosités est surchargé d’objets insolites, nourrissant puissamment ses sources d’inspiration. Plus encore, toute son imagination fut marquée par le contexte de la boutique familiale. Un bric-à-brac où l’on vendait des souvenirs marins, des coquillages, des bateaux miniatures, des masques, des accessoires de carnaval…  » Mon enfance a été peuplée de rêves merveilleux et la fréquentation de la boutique de la grand-mère, toute irisée de reflets de coquillages et de somptuosités de dentelles, d’étranges bêtes empaillées et d’armes terribles de sauvages, m’épouvantait. […]  » (James Ensor).

Dans cet endroit pour le moins particulier, l’artiste est obsédé par la pratique de son art.  » Je dessinais le soir d’après l’Antique, et je peignais le jour la figure d’après nature et la nuit, je composais ou géographiais mes rêves.  » (James Ensor) Il ne cesse de s’exercer. Tout est prétexte à crayonner : les objets de son quotidien, ses proches, les passants… Bientôt, il entame sa livraison de dessins au mécène bruxellois Henri Van Cutsem. Guidé tant par son instinct que par son regard aiguisé, le collectionneur – homme d’art et de coeur – sent qu’il a devant lui des oeuvres d’un futur  » grand « . Il achète ainsi à la pièce, pour  » deux fois rien « , une cinquantaine de dessins. Conservés dans une farde, ils appartiendront au legs Van Cutsem, cadeau providentiel à l’origine du musée de Tournai.

Inspirées de l’environnement immédiat d’Ensor, les oeuvres présentées abordent des sujets d’une incroyable variété. Exposées par thèmes, elles peuvent se répartir comme suit : des silhouettes fugitives qu’il observe dans la rue, des natures mortes (ou représentations d’objets inanimés) et des portraits.

Le théâtre de la rue

De nature discrète, Ensor aperçoit le  » théâtre  » de la rue depuis la fenêtre de son atelier. Il se place en observateur extérieur et croque sur le vif ces silhouettes fugitives aperçues en contre-bas. Sur ces bouts de papier, le peuple ostendais dans toute sa diversité. Sur le vif, l’artiste esquisse avec nervosité de simples ouvriers, des passants embourgeoisés, des pêcheurs aux bras chargés… Il insère tous ses personnages – résumés efficacement, en quelques traits – dans un lieu abstrait : une feuille blanche les privant de tout contexte. En outre, ces petits individus sont  » jetés  » sur le papier et juxtaposés à d’autres sans souci de l’échelle. Ce procédé nous conduit à quelques incohérences involontaires, mais qu’importe ! L’essentiel est ailleurs.

Le jeune Ensor n’a pas que les yeux rivés vers l’extérieur. Il immortalise également, avec une précision quasi chirurgicale, des objets de son intérieur : un vase chinois, un bougeoir, un verre sur pied, un trousseau de clés… A contre-courant des silhouettes nerveusement ébauchées, l’artiste fait ici étalage de toute sa virtuosité technique. Truffées de détails, ses natures mortes sont empreintes d’un grand réalisme et d’un sens aigu de l’observation. Ces dessins minutieux forment de loin la majorité des spécimens ici rassemblés.

Portraits de ses femmes

Ensor a également réalisé les portraits des femmes qui l’entourent. Elles sont pour lui des modèles particulièrement faciles à croquer. Il les immortalise dans des scènes d’intimité domestique. En témoigne son dessin du visage de sa soeur, saisi d’un trait rapide alors qu’elle est endormie.

Présenté en exclusivité, ces quelque cinquante dessins nous apparaissent comme autant de fenêtres ouvertes sur l’intimité de l’artiste : il se livre avec spontanéité et sincérité. Une facette ignorée qui permet de faire rimer le nom d’Ensor avec autre chose que les masques et la mort !

Notons enfin que cet accrochage inédit en provenance de Tournai est complété, à l’étage supérieur, de peintures, dessins et estampes appartenant aux collections communales de Liège. Quelques tableaux plus  » familiers  » mettant en scène le vocabulaire typique et singulier d’Ensor : squelettes, masques et plaisanciers.

L’autre Ensor, au Palais Curtius, 136, Féronstrée, à 4000 Liège. Jusqu’au 23 mars. www.grandcurtiusliege.be

Par Gwennaëlle Gribaumont

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