Itinéraire d’un proscrit prométhéen

A travers l’exposition Victor Hugo en exil, le Musée des lettres et manuscrits de Bruxelles revisite vingt ans de la vie romanesque et tourmentée de l' » Homme Océan « . Et nous fait découvrir les facettes méconnues de l’écrivain proscrit.

 » Je partagerai jusqu’au bout l’exil de la liberté. Quand la liberté rentrera, je rentrerai.  » Cette phrase célèbre, Hugo la prononcera en août 1859, alors même que Napoléon III décrète l’amnistie sans conditions pour les proscrits dont l’auteur des Châtiments est l’incontestable figure de proue. Près de huit ans plus tôt, le neveu de Napoléon Bonaparte décidait de franchir le Rubicon : ce sera le coup d’Etat du 2 décembre 1851, qui décidera Hugo et bien d’autres à prendre le chemin de l’exil. Première étape : Bruxelles, où il débarque dès le 11 décembre sous la fausse identité de l’ouvrier typographe Lanvin. Ce subterfuge qui lui sauvera la mise, il le doit à Juliette Drouet, la grande passion semi-clandestine de son existence.  » Juliette Drouet est presque la covedette de cette exposition, confie David Aguilar, qui en est le commissaire, tant son rôle fut déterminant. Au péril de sa sécurité, restant toujours dans l’ombre, elle n’a pas hésité à sacrifier son destin au profit de celui de son grand homme.  »

Installé sur la Grand-Place, dont il apprécie le cachet architectural et historique, Hugo se rendra fréquemment au Cercle Artistique et Littéraire, situé à l’emplacement de l’actuelle Taverne du Passage, galerie de la Reine, non loin de l’appartement occupé par Juliette, à l’étage de la libraire Tropismes. L’exilé restera à Bruxelles le temps de mettre la dernière main à son Napoléon le Petit, virulent pamphlet dirigé contre l’apprenti César.

Pièce de choix de l’exposition, une lettre autographe signée des deux Adèle, sa femme et sa fille, restées à Paris, persuadent l’imprudent qu’il est grand temps de quitter la Belgique, avant de s’en faire expulser. Toujours accompagné de la fidèle Juliette, Hugo s’embarque donc pour Jersey le 1er août 1852, rejoint par sa  » légitime  » et ses enfants. le proscrit s’installe à Marine Terrace.

Profondément croyant, Hugo a toujours fait preuve d’un certain mysticisme. Il s’adonne à la pratique des tables parlantes, c’est-à-dire du spiritisme. Alors que sa femme Adèle note pieusement ce qui émane de la  » bouche d’ombre « , son fils Charles fait office de médium. Un premier esprit se manifeste, celui de sa fille chérie Léopoldine, morte noyée dix ans auparavant. Louis XVI, Racine, Shakespeare, Marat ou encore Platon s’inviteront par la suite aux séances de Marine Terrace :  » Cela pourrait paraître anecdotique, précise David Aguilar, si l’on n’y décelait l’une des sources principales des Contemplations, l’oeuvre poétique et mystique capitale d’Hugo.  »

A la faveur d’un rapprochement entre la reine Victoria et Napoléon III, voilà Hugo contraint de quitter Jersey pour Guernesey en 1855. Grâce aux droits des Contemplations, il y fera l’acquisition de Hauteville House. C’est là qu’Hugo reprendra le chantier interrompu des Misérables. Il faut l’imaginer, écrivant debout selon son habitude, dans son belvédère du troisième étage faisant face à l’océan. En 1861, il met la dernière main au chapitre consacré à la bataille de Waterloo. Pour mieux s’imprégner de l’atmosphère, il décide de se rendre sur place, toujours accompagné de la fidèle Juliette. Ce sera le plus grand succès de sa carrière d’écrivain. Mais il lui faudra patienter jusqu’à la bataille de Sedan, et la chute de Napoléon III en 1870, pour accomplir sa promesse et mettre un terme définitif à près de vingt ans d’exil.

Victor Hugo en exil, au Musée des lettres et manuscrits de Bruxelles. Jusqu’au 29 mars 2015. www.mlmb.be

Alain Gailliard

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