S’il a fallu moins de trente ans aux brasseries Piedboeuf et Artois pour devenir le n°1 mondial de la bière, elles le doivent, aussi, à une fiscalité sur les sociétés très compétitive.
Après des décennies de concurrence exacerbée, les familles derrière Artois (de Spoelberch, de Mévius,…) d’une part, et Piedboeuf (Van Damme), d’autre part, avaient fini par pactiser – très secrètement – en 1971 et, en 1986, pour finir par unir officiellement leurs destins au sein d’une société commune : Interbrew. Si, dans un premier temps, certains ont imaginé qu’il s’agissait de préparer la mariée pour l’offrir ensuite au plus offrant, c’était mal connaître l’affectio societatis de ces illustres familles ainsi que la détermination de certains de leurs éminents membres, à l’image d’un Alexandre Van Damme, un homme discret mais qui, dans les coulisses, a été le véritable artisan des deals qui ont fait d’Interbrew l’incontestable n°1 mondial de la bière.
Quand Interbrew lance une offre publique d’achat (OPA) sur le canadien Labatt en 1995, il s’agit de la plus grosse acquisition jamais réalisée à l’étranger par une société belge : un peu moins de 1,4 milliard d’euros, financé pour moitié par emprunts. Cette OPA transcontinentale va donner naissance au quatrième groupe brassicole mondial, déjà. Après les rachats successifs de Bass, Whitbread et autres Beck’s, l’entrée en Bourse, le rapprochement et la fusion avec les Brésiliens d’AmBev (pour former InBev), l’ambition est de s’en prendre au n°1 mondial de la bière, l’américain Anheuser-Bush. Ce dernier tombe finalement dans l’escarcelle d’InBev, non sans avoir décaissé au passage la somme colossale de 52 milliards de dollars, dont 45 financés par emprunts. Une opération menée tambour battant, en pleine crise financière de 2008.
Grâce au fisc !
Chez nous, les charges d’intérêt d’emprunts réalisés pour acheter des parts d’autres sociétés peuvent venir en déduction des bénéfices engendrés par les activités industrielles et commerciales. Ainsi, en 2013, InBev Belgium détenait des participations dans diverses filiales à hauteur de 10,5 milliards (90 % de l’ensemble de ses actifs !) et affichait un endettement à long terme de 8,5 milliards. A elles seules, les charges d’intérêt (391 millions) de ces emprunts absorbaient bien plus que l’ensemble des bénéfices réalisés en Belgique et à l’exportation par les seules brasseries Jupiler, Artois et Hoegaarden (294 millions).
Mieux encore, grâce au mécanisme fiscal des revenus définitivement taxés (RDT), les dividendes encaissés auprès des filiales sont exonérés d’impôts à hauteur de 95 % de leurs montants et les plus-values provenant de la revente de certaines d’entre elles sont complètement exonérées. Autrement dit, le code fiscal belge permet aux sociétés de déduire de leur base taxable des charges (les intérêts) supportées en vue d’acquérir des revenus quasi pas, voire pas du tout, taxés. Au niveau de la holding InBev, cotée en Bourse, un bénéfice de 1,8 milliard en 2013 (près de 6 milliards en 2012) échappe donc complètement à l’impôt des sociétés. Tout cela, sans ruling, en toute transparence et, surtout en toute légalité !
Jean-Marc Damry
Un bénéfice de 1,8 milliard en 2013 échappe complètement à l’impôt des sociétés. En toute légalité !