Ils pètent les plombs grave

Selon une récente étude américaine, 7 % des personnes à qui il arrive de perdre le contrôle d’elles-mêmes présenteraient un  » trouble explosif intermittent  » : tout à coup, presque sans raison, elles entrent dans des fureurs terribles. Est-ce bien raisonnable ?

C’est un homme charmant. Sauf quand il explose. Tout à coup, brutalement, pour un mot, une situation qui lui déplaît ou qu’il ne maîtrise pas, il hurle. Ou il fracasse tout autour de lui. Ou il s’en prend physiquement à son interlocuteur. C’est  » normal  » : il souffre d’un  » trouble explosif intermittent « . Selon des chercheurs de la Harvard Medical School et de l’université de Chicago, sur 9 282 adultes américains qui avaient vécu une  » perte de tout contrôle  » entre 2001 et 2003, 7,3 % avaient présenté un tel syndrome au moins trois fois dans leur vie, et 2,7 % trois fois sur les douze derniers mois. Sans être  » énorme « , voilà qui n’est pas anodin pour un trouble… dont beaucoup n’ont même jamais entendu parler et/ou qui laisse sceptiques certains psychiatres !

Pour entrer dans le club de ceux qui souffrent d’un tel symptôme, il ne suffit pas de péter les plombs à l’occasion, d’être un énervé chronique, un soupe au lait ou un adepte coutumier de coups de sang ! Même si une situation de stress est souvent présente,  » l’explosion de colère et d’agressivité de ces personnes est totalement démesurée par rapport à l’événement qui la provoque, explique le Dr Alexandre Dailliet, psychiatre spécialisé en défense sociale. Une personne « normale » ne se serait jamais mise dans cet état pour une telle raison ! Ce terrible débordement, dont la tendance peut débuter dès l’adolescence, est impulsif, non prémédité, excessivement rapide. Sa répétition éventuelle indique la sévérité du trouble.  » Il implique un langage violent associé, ou pas, à des destructions d’objets, y compris précieux, ou à des coups et à des voies de fait qui peuvent, dans des cas extrêmes, mener à la mort. Parfois, il se tourne contre soi, avec des automutilations ou des tentatives de suicide.

 » Cette pulsion, rapide, effrayante, irrationnelle ne peut être expliquée par diverses maladies mentales qui vont parfois de pair avec des débordements de violence « , souligne le Dr Serge Zombek, responsable du service médico-psychologique au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles. Avant de parler de trouble explosif intermittent, les spécialistes excluent donc, par exemple, une phase d’exaltation maniaque dans un trouble bipolaire ou une schizophrénie. Les personnes qui présentent une personnalité antisociale, avec une très faible tolérance aux frustrations et une absence de conscience morale n’entreront pas non plus dans leur diagnostic. De même celles pour lesquelles on parle de personnalité  » borderline « . Les psychiatres s’assurent également que l’on ne se trouve pas dans une famille qui fonctionne dans un cadre habituel de grande violence. Ou qu’il ne s’agit pas d’une phase de colère cataclysmique provoquée par en état d’ébriété ou sous l’influence de substances psychotropes. Conclusion des spécialistes belges : ce trouble serait relativement rare.

Ceci n’est pas une maladie

Actuellement, ce syndrome est classé au sein du DSM IV(la bible des psychiatres américains) dans une catégorie un brin fourre-tout : elle rassemble ce qui relève du  » contrôle des impulsions « . Elle inclut, par exemple, la kleptomanie et la trichotillomanie (le fait de s’arracher poils ou cheveux) !  » Le trouble explosif intermittent n’est pas une maladie clairement identifiée avec, par exemple, une zone du cerveau atteinte et susceptible d’expliquer cette transformation d’un Dr Jekill en un Mr Hyde terrorisant soudainement son entourage « , remarque le Dr Zombek. Néanmoins, on estime que certains gènes seraient impliqués dans son apparition.

 » Quand l’un d’entre eux se présente sous une forme particulière, les risques deviendraient plus grands de souffrir d’un tel comportement. Ces facteurs génétiques expliqueraient la présence de familles plus concernées que d’autres, poursuit le Dr Dailliet. Mais d’autres éléments, éducatifs et environnementaux, joueraient également un rôle dans la survenance de ces explosions. La maltraitance pendant l’enfance en ferait partie. Les périodes d’anxiété et de dépression (maladies souvent présentes chez ceux pour qui ce trouble est diagnostiqué), aussi.  »

Plutôt rare, méconnu, ce trouble fait peu fréquemment l’objet d’une demande de prise en charge volontaire de la part de ceux qui en souffrent.  » Souvent, c’est au détour d’une phrase, et alors que la personne consulte pour une autre raison, que l’on en vient à évoquer ce problème, remarque le Dr Dailliet. Il arrive également que ce soient les plaintes des familles qui motivent les patients à demander de l’aide. Mais, plus certainement encore, ce trouble est généralement envisagé chez une population délinquante qui a commis divers délits sous l’emprise de telles explosions d’agressivité.  » Dans l’étude qu’il a menée, avec le Dr Sarah Barbera, sur des personnes ayant commis des homicides, le Dr Dailliet a constaté que les plus grands risques de récidive étaient à redouter chez celles atteintes par ce trouble.

De manière générale, depuis une vingtaine d’années, les chercheurs ont constaté que ces patients souffraient d’un manque de sérotonine (un neurotransmetteur) dans le cerveau. Assez logiquement, les traitements pharmacologiques proposés reposent donc sur la prescription d’antidépresseurs capables de corriger de tels déficits.  » Ils aident le patient à mieux se contrôler, mais leur efficacité n’est pas totale, souligne le Dr Dailliet. En début de traitement, ils entraînent parfois une augmentation de l’agressivité. Il peut être utile d’y ajouter un anxiolytique. L’encéphalogramme de certaines de ces personnes peut présenter des anomalies : dans ce cas, bien qu’elles ne souffrent pas d’épilepsie, un traitement contre cette maladie aide à stabiliser leur humeur et diminue les crises.  »

Désamorcer ces bombes

La prescription de médicaments s’accompagne d’une démarche psychothérapeutique, généralement d’approche comportementale.  » L’association de ces deux stratégies donne les meilleurs résultats, assure le Dr Zombek. C’est par la thérapie que l’on peut leur apprendre à désamorcer ces bombes qui explosent très vite à l’intérieur d’eux-mêmes.  » C’est elle, également, qui leur enseigne, par exemple, à prendre du recul face à la situation stressante déclenchante, à gérer leur besoin de dominer l’autre par l’agressivité, à sortir sans dégâts de circonstances où ils se sentent humiliés ou diminués.

 » Les personnes concernées ne sont pas des psychopathes qui rejettent systématiquement leur responsabilité sur les autres. Il peut leur arriver de dire qu’on les a cherchées et provoquées. Mais elles se sentent généralement très coupables des conséquences des actes commis durant les crises, assure le Dr Dailliet. Savoir que l’on peut en guérir, accepter de se remettre en question, c’est alors redevenir responsable de sa vie et de ses actes.  »

Reste une question  » incontournable  » : Zidane, le héros français de football, exclu de la finale de la Coupe du monde pour un coup de tête, serait-il un patient qui s’ignore ? Sans examen clinique approfondi, les psychiatres interrogés ne peuvent se prononcer. Néanmoins, ils semblent plutôt exclure cette possibilité. Alors, disons juste que ce n’était pas son jour. Ni de fête ni de cataclysme dû à un trouble explosif intermittent.

Pascale Gruber

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