L’ex-président français approuve le Grexit et pointe la » défaillance » de son pays dans le couple franco-allemand.
Le Vif/L’Express : Les Grecs ont dit non aux réformes proposées par l’Union européenne. Comment réagissez-vous ?
Valéry Giscard d’Estaing : La situation de la Grèce dans la zone euro, comme celle de la France, de l’Allemagne ou de l’Espagne, résulte du traité de Maastricht, adopté pendant la présidence de François Mitterrand et qui instituait une » union économique et monétaire « . Analysez bien ces deux mots ! Chacun répète qu’une union monétaire ne peut pas vivre sans une union économique. Cette union économique de la zone euro s’exprime par le Pacte de stabilité, qui limite à 3 % le montant du déficit budgétaire et à 60 % du PIB le taux de l’endettement public. Lorsque les électeurs grecs ont voté, il y a quelques mois, pour des dirigeants qui refusaient de respecter cette politique, ils ont abandonné l’union économique et donc indirectement l’union monétaire. Ils ont confirmé ce choix par le référendum. Il faut donc décider leur » mise en congé » de l’euro !
Va-t-on vers le chaos, vers un effet de domino – le Portugal, l’Espagne, l’Italie… -, avec des marchés financiers qui paniquent et des taux d’intérêt qui s’envolent ?
Absolument pas. C’est un fantasme invraisemblable ! La Grèce est un pays de taille moyenne, tandis que l’euro est la monnaie commune des pays fondateurs de l’Union européenne : Allemagne, France, Benelux et Italie, qui représentent plus de 200 millions d’habitants ! C’est la spéculation internationale qui a joué constamment sur les conséquences pour l’euro de ce qui pouvait arriver en Grèce, mais, en réalité, la monnaie unique n’est pas concernée. Le cours de l’euro reste et restera supérieur à celui du dollar. Votre raisonnement aurait été juste il y a deux ans et demi, quand on vivait une fragilité générale du système monétaire et que l’Espagne et l’Italie n’avaient pas encore repris en main leurs affaires monétaires. Aujourd’hui, aucun pays de la zone euro n’est au voisinage de la situation grecque. Il faut mettre la Grèce en congé de l’euro. Je dis » mettre en congé » plutôt que » sortir « , qui a quelque chose de punitif. Mise en congé, la Grèce rejoint la situation des neuf pays européens qui n’ont pas l’euro et se gouvernent avec leur monnaie nationale, certains avec de bonnes performances, comme la Suède ou le Danemark.
Quitte à revenir dans l’euro quelques années plus tard ?
Oui. Le message est : » A partir de telle date, vous ne faites plus partie de la zone euro, mais on ne vous chasse pas de l’Europe. » Cela implique évidemment le retour à une monnaie nationale, comme pour tous les pays de l’Union européenne qui ne sont pas dans la zone euro. Cette devise nationale est indispensable pour revenir à la santé financière et à la compétitivité économique. Ainsi, en Grèce, le régime des pensions doit-il être réformé : on peut y prendre sa retraite très tôt, plus tôt que dans tout autre pays de la zone euro. Il faut se servir d’une monnaie nationale pour réformer cela. Elle ouvre aussi une capacité de dévaluation compétitive qui permettra de réguler le commerce extérieur et donc de soutenir l’emploi, ce qui est impossible avec l’euro !
François Hollande a-t-il eu raison de se distinguer de l’Allemagne à quelques jours du référendum, en souhaitant » un accord tout de suite » ?
La position de la France a été inadaptée à la crise grecque ouverte par l’élection de Syriza. Cette élection était légitime, mais comportait le choix d’une politique économique différente de celle suivie par la zone euro. A partir de ce moment-là, il fallait constater que l’Union économique et monétaire était répudiée par la Grèce et préparer sa sortie de la zone euro, progressivement, sans agressivité, au mieux des intérêts de la population grecque.
La France a-t-elle trop fait de sourires à Syriza ?
Absolument. Des sourires témoignant de l’incompétence et dissimulant aux Français le montant des sacrifices financiers qui leur étaient demandés. La contribution au financement de l’endettement de la Grèce représente déjà un montant de l’ordre de 700 euros par Français. Les Allemands, eux, ont tenu une ligne raisonnable. D’ailleurs, je regrette que la France se soit opposée, il y a deux ans, à la désignation de Wolfgang Schäuble comme président du Conseil des ministres de la zone euro.
Il était de loin le plus qualifié et c’est la France qui a rejeté sa nomination. Ce fut une grave erreur politique.
Jean-Claude Juncker, depuis qu’il préside la Commission, a donné un tour très politique à ses prises de parole. Est-ce son rôle ?
Non ! Et ce n’est pas ce qu’autorisent les textes. Le président de la Commission européenne dirige un organisme qui doit émettre des propositions pour faire avancer le projet européen. La Commission a le monopole de l’initiative, mais n’a pas le pouvoir de gestion directe des politiques économiques ! C’est là une extension de la fonction, accompagnée de manifestations excessives, telles ces séances d’embrassades au Conseil européen, devant les caméras, qui font du tort à l’image de l’Europe.
Comment, désormais, relancer la zone euro ?
C’est une zone d’intégration qui doit poursuivre son avancée, ce qui veut dire qu’il faut proposer des étapes : la prochaine sera fiscale, la suivante concernera la dette, etc. Or, cela n’est pas fait, et ce n’est pas dit non plus. Depuis plus de deux ans, je recommande la création d’un secrétariat général de la zone euro, ce qui est indispensable pour la faire fonctionner. Il pourrait être, d’ailleurs, confié à une personnalité française.
Faut-il changer le rôle de la Banque centrale européenne ?
Non. Elle fait bien son travail, même si, personnellement, je trouve qu’elle pratique des achats excessifs de titres d’emprunts publics. Mais c’est une bonne institution qui n’est pas atteinte par la crise actuelle et dont il n’a pas lieu de modifier le fonctionnement.
Le FMI a-t-il bien joué son rôle ?
Le FMI n’avait rien à faire dans ce dossier grec, mais la faute n’est pas venue de Christine Lagarde, elle est le fait de son prédécesseur. Le FMI est une institution qui traite des besoins extérieurs en devises exprimés par les pays membres et non de leur endettement intérieur. La dette grecque est une dette interne, creusée par des dépenses faites en Grèce, par le gouvernement grec, pour les citoyens grecs : cela ne regardait pas le FMI.
Ne regrettez-vous pas d’avoir été l’artisan de l’entrée de la Grèce dans l’Union européenne, qui a mené à son entrée dans l’euro puis à toutes ces difficultés ?
Je ne regrette pas du tout que la Grèce soit entrée dans l’Union européenne, à un moment où elle était dirigée par Constantin Caramanlis, qui était un homme de grande capacité et de grande rigueur. Lorsqu’il a quitté le pouvoir, il a été remplacé par Andreas Papandréou, lequel a inauguré le cycle des politiques flottantes du point de vue de l’économie et de la monnaie. A partir de ce moment-là, c’était une erreur de faire entrer la Grèce dans la zone euro, parce que ses dirigeants ne souhaitaient ni ne proposaient de suivre la politique de la zone euro.
Propos recueillis par Christophe Barbier