» Il est temps de passer à l’acte « 

Le maître architecte bruxellois doit donner une nouvelle impulsion au développement urbanistique de la capitale. Il entend rassembler les forces vives pour répondre aux enjeux et aux urgences. Le canal figure en haut de ses priorités.

Depuis le début de l’année, Kristiaan Borret, 48 ans, est devenu le bouwmeester bruxellois. Un maître architecte qui veille à la qualité architecturale, urbanistique et paysagère des projets immobiliers et d’espace public en Région de Bruxelles-Capitale. La tâche est ardue pour ce Gantois qui habite Forest depuis vingt ans. S’il a relevé un défi similaire à Anvers pendant huit ans, l’homme s’attaque cette fois à un défi plus ambitieux encore. Pas de quoi effrayer ce multidiplômé (ingénieur civil-architecte, baccalauréat en philosophie, licence en sciences politiques et affaires publiques, master en urbanisme) qui a déjà largement démontré ses compétences. Rencontre teintée d’optimisme et de volonté d’enfin secouer le cocotier bruxellois.

Le Vif/L’Express : Vous annonciez lors de votre nomination avoir besoin de six mois pour faire le tour du propriétaire. Quelle est donc votre analyse de la situation bruxelloise ?

Kristiaan Borret : Ma note d’orientation n’est pas encore prête. Je me suis directement impliqué dans des grands dossiers, tels que le Plan Canal, Reyers ou Tour & Taxis. Ce qui a quelque peu retardé l’élaboration de ma note. Ma stratégie est d’être avant tout optimiste. Pendant trop longtemps, à Bruxelles, les gens ont été fatalistes, pessimistes et négatifs. Il y a beaucoup d’idées, de visions et de projets, par contre, il manque le passage à l’acte. Je souhaite jouer ce rôle de moteur. Raccourcir le laps de temps entre la première idée et la décision politique permet de ne pas entraver la qualité.

Comment accélérer les choses ?

Un bouwmeester doit stimuler la qualité de tous les projets et veiller à la qualité du bâti en matière d’architecture, d’urbanisme et d’espace public. Il doit aussi jouer un rôle fédérateur. J’ai rempli ce rôle à Anvers. Mon ambition est d’amener davantage de cohérence dans les différentes visions qui percolent à Bruxelles. Rassembler le cabinet Vervoort, l’Agence de développement territorial, le fonctionnaire délégué et le bouwmeester autour d’une vision commune sur les grands projets serait une réelle avancée. Nous expérimentons une réunion bimensuelle où nous évoquons les projets stratégiques d’une manière informelle. C’est une bonne idée. Les promoteurs ne doivent recevoir qu’un seul son de cloche de la Région.

Quel regard portez-vous sur les qualités architecturale et urbanistique développées ces dernières années ?

J’ai promis d’être optimiste et positif (rires). Si on parle de Bruxelles à un public international, il n’associe pas la ville à une architecture de qualité. Le seul bâtiment qu’il connaisse est l’Atomium. Bref, il y a donc soit un déficit, soit une opportunité. Cela dépend où on se place. Toutefois, des avancées sont apparues ces cinq dernières années avec mon prédécesseur. Il a lancé la machine en améliorant les procédures.

Bruxelles est-elle à un moment charnière de son développement ?

Il y a une volonté politique claire de changer les choses. J’ai senti un réel soutien du gouvernement. Il y a, à Bruxelles, un nombre important d’architectes et d’urbanistes de qualité. De nombreuses études ont été réalisées. Il est maintenant temps de mettre en oeuvre cette richesse.

Vous êtes en train de constituer une équipe de huit personnes dédiée au canal. Quelle est sa mission ?

La mise en oeuvre du Plan Canal conçu par l’urbaniste français Alexandre Chemetoff. Ce plan reprend une vision concrète, à laquelle j’adhère. Travailler sur le canal signifie travailler à l’échelle de toute la Région bruxelloise. Il s’agit d’une transformation de la ville postindustrialiste. Le redéveloppement d’un terrain portuaire s’est déjà déroulé dans de nombreuses villes en Europe. Ce n’est donc pas très original. Il y a d’ailleurs un décalage de dix ans avec ce qui s’est réalisé ailleurs en Europe. Par contre, cet inconvénient peut devenir un avantage en tirant les conclusions de ces réalisations. Des quartiers mixtes ont essentiellement été développés. En oubliant toutefois un élément qui ne rend pas cette réhabilitation complète : l’économie productive. C’est-à-dire les petits ateliers, les activités semi-industrielles, les entreprises destinées aux emplois peu qualifiés. Ces activités font partie de l’identité du canal. Il s’agit de l’atout principal du plan de Chemetoff. Ces fonctions font partie de la ville et il faut les intégrer.

Comment va se dérouler la mise en oeuvre ?

Le master plan est évolutif. Chemetoff a réalisé des dessins. Mais tout ne sera pas réalisé à la lettre. L’équipe « canal » va collaborer avec les promoteurs pour faire avancer leurs projets. Le foncier public de 313 ha nous permet également de déterminer de grandes options. Il n’y a, pour l’heure, aucun projet sorti de terre. D’ici deux ans par contre, on verra apparaître les premiers aménagements. Et dans cinq ans, l’espace public autour des quais Béco aura fondamentalement changé. Les quais seront accessibles. Une passerelle piétonne reliera les deux rives. Des projets privés de logement sont en cours. Au total, la réhabilitation du canal s’étendra sur dix ans.

La demande du privé est-elle suffisante ?

Oui. Le nombre de projets de grande envergure actuellement sur la table est impressionnant. Des promoteurs ont par exemple acheté des terrains au Biestebroeck pour des développements de 400 000 m2. Le propriétaire de Tour & Taxis souhaite aussi avancer. Il lance un concours d’architecture pour ériger 900 logements. Les promoteurs font la file, en fait.

Comment créer une attractivité pour cette zone qui, aujourd’hui, n’est pas la plus séduisante de Bruxelles ?

Je suis persuadé qu’il s’agira du quartier le plus branché de Bruxelles une fois qu’il aura opéré sa reconversion. La plupart des exemples européens le démontrent. Ce site deviendra un lieu de vie exceptionnel.

Demain, à quoi ressemblera le site du canal ?

Vu son retard, Bruxelles pourra aménager quelque chose d’unique et de novateur. La ville va tirer parti de ce désavantage pour le transformer en atout. Il s’agit de la combinaison de fonctions mixtes et d’économie légère (brasserie urbaine, quincaillerie, plomberie, etc.). Par exemple, on peut imaginer dans le futur que la centrale à béton se sera dotée d’outils qui gèrent les nuisances acoustiques, sera entourée d’équipements publics et de logements, que les parkings seront partagés… Bref, qu’une véritable cohabitation des fonctions apparaisse. Des espaces publics seront créés un peu partout. L’idée est vraiment de réduire au maximum les conflits. Et que les nuisances qui restent fassent partie de la vie urbaine.

Optimiste, donc ?

Oui, vraiment. Je sens que plusieurs promoteurs privés importants ont réellement envie d’avancer. Au sein du monde politique, je sens aussi qu’il y a une prise de conscience que nous sommes à un moment charnière. La volonté est là, les outils sont présents et les projets également. Revenez dans deux ans et on tirera déja un premier bilan !

Entretien : Xavier Attout

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