L’écrivain et fondateur des éditions Actes Sud, qui s’est éteint à 86 ans, admirait la magie des mots. Il lègue une empreinte passionnée.
Le temps d’une journée, Hubert Nyssen avait abandonné son mas et ses oliviers arlésiens pour rejoindre le chemin de son enfance. Né à Bruxelles en 1925, l’écrivain aimait retrouver le parfum de son passé. Ravivons cet instant… Moustache, cheveux blancs et petites lunettes sont à l’image d’un visage, éternellement curieux et émerveillé. » Le plaisir de lire se cultive et doit parfois se chercher. C’est comme régler son pas avec sa respiration ou son rythme cardiaque. » Le sien résonne comme une madeleine de Proust. » La découverte de la lecture ne consiste pas à déchiffrer le silence des lettres, mais à écouter leur émission sonore. Mes premiers émois littéraires sont liés à ma grand-mère, qui m’a élevé en me lisant des histoires. Elle a suscité en moi le goût de l’exploration, de l’émotion et de la passion. »
Son grand-père a également joué un rôle clé, puisqu’il » m’a éveillé à l’amour des langues. Dès mes premières lectures, j’étais désireux de comprendre comment naissait une histoire. Un texte doit prendre en compte le regard du lecteur « .
Délecté de lettres
Cette fascination pour le façonnement des livres pousse Hubert Nyssen à lancer sa maison d’édition, Actes Sud, en 1978. Installé en Provence, il ne compte pas sur la providence. » Devenir éditeur, loin de Paris, et imaginer un livre au format inédit semblait impossible « , se souvient-il avec amusement. Tant la forme que le fond se fondent à l’unisson. » C’est passionnant d’aller à contre-courant et de rassembler des auteurs pour la qualité de leur £uvre. Grâce à cette impertinence, nous publions un catalogue d’une grande richesse. Je suis stupéfait du succès ! »
Aiguillé par son instinct, il sort de l’ombre Nina Berberova, Paul Auster, Nancy Huston ou le Prix Nobel de littérature Imre Kertész. Le ministre français de la Culture Frédéric Mitterrand salue d’ailleurs » son ouverture au monde « . Nyssen affirme que » quand l’écrivain, que je suis, lit un manuscrit, il ne peut que soutenir les gens pour qui l’écriture a un sens. Loin de détruire un rapport fécond avec l’écrivain, je dialogue avec lui. L’édition est le meilleur moyen pour que la pensée de l’un enrichisse la pensée de l’autre « .
Aussi est-il révolté de son évolution. » C’est insensé de laisser le monde éditorial s’enfermer dans un immense commerce de papier imprimé, qui publie tout et n’importe quoi ! Je ne suis pas un marchand, mais un passeur d’idées, d’émotions et de percepts. » Hubert Nyssen a pourtant passé le relais à sa fille Françoise, afin de pouvoir se consacrer entièrement à ses premières amours, l’écriture. » Quand j’écris, je suis obsédé, traversé et habité par les mots. » Poésie, romans, essais ou livres pour enfants, sa gourmandise est illimitée. Elle se reflète dans ses petits carnets noirs, qu’il a toujours à portée de main, histoire de ne pas laisser filer » un embryon d’idée. Le rôle de l’écrivain est d’exprimer son « être là » et de ne jamais renoncer à écrire. C’est à lui de dresser, dans notre univers mental, tous ces signes sur ce qui va advenir « .
Cette lucidité ne l’empêchait pas de rester optimiste quant à l’avenir littéraire. » On aura beau brûler les livres, ils continueront à dire ce qu’ils ont à dire. Indéfinissable, ma liberté tient compte de mes exigences et de celles des autres. On ne s’accorde pas une liberté, c’est une conquête que l’on se crée. J’aime l’idée que chaque individu naît avec le devoir de recueillir un héritage et de le transmettre à nouveau. » Si son nom signifie « fils de la nouvelle lune », c’est parce qu’Hubert Nyssen nous éclairait. Il s’en est allé avec la même élégance et discrétion qu’il a vécu, puisqu’il a tenu à ce que sa disparition soit annoncée après son inhumation.
KERENN ELKAÏM
» J’aime l’idée que chaque individu naît avec le devoir de recueillir un héritage et de le transmettre à nouveau «