Hissez les voiles !

Guy Gilsoul Journaliste

De l’installation in situ aux sculptures déposées sur la plage, de l’art vidéo aux visions picturales de Turner et Barcelo, 2003 Beaufort, entre tempête et mer d’huile, a gagné tout le littoral belge

2003 Beaufort. Ostende, PMMK, Romestraat, 11. Jusqu’au 28 septembre. Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures. Tél. : 059 80 56 86. La Triennale d’art contemporain, tout le long du littoral. Tél. : 070 22 50 04.

L’opération 2003 Beaufort, c’est d’abord, tout le long du littoral, l’installation d’une trentaine d’£uvres contemporaines, toutes spécialement conçues par des artistes triés sur le volet qui inaugurent cette première Triennale de l’art contemporain. On y croise un personnage chevauchant une tortue géante (Jan Fabre), un dôme de branchages habité par des chèvres en plastique rouge (Cracking Art et Sweetlove) et une tour d’observation aux allures de plan d’église (Anne et Patrick Poirier). Ailleurs, voici une immense cloche et son gong humain (Zhang Huan), un temple de méditation où passent les nuages (Marie-Jo Lafontaine) et d’étranges silhouettes immobiles plantées à marée basse (Antony Gormley). Là, une sirène suspendue dans les airs (David Mach), plus loin, un château d’eau couvert d’une monumentale perruque rouge (Maria Roosen), ailleurs encore, beaucoup de photographies (Braeckman, Meynen, Marcaccio, Muyle…), posées en des lieux qui disent la mémoire, l’étonnement, le présent.

2003 Beaufort, c’est aussi et surtout une grande exposition de peintures au musée provincial d’Art moderne (PMMK) d’Ostende par laquelle Willy Van den Bussche, son bouillonnant conservateur, signe un manifeste on ne peut plus clair, dénonçant tout à la fois l’art numérique (qui ne sera jamais qu’un  » sous-produit « ) et la  » contamination philosophique  » qui aura eu tout faux. Non, s’exclame Van den Bussche – même si, pour ce faire, il ne craint pas d’affronter les papes du conceptuel -, l’art n’est pas qu’une affaire d’intention, de mise en place, de contexte. S’appuyant sur sa propre expérience, cet héritier de Permeke fait sienne une déclaration empruntée à l’écrivain Bart Plouvier :  » Je ne vois plus aucun intérêt à l’intellectualisation de l’art. Je veux profiter, vivre un plaisir esthétique en regardant une peinture ou une sculpture.  » Mais ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas de faire un éloge des sens qui, au nom du  » goût « , éviterait le risque merveilleux de l’ouverture à soi. Si le peintre, mieux que tout autre, explique Van den Bussche, par la technique  » primitive  » qu’il utilise – étaler de la couleur sur un support – est capable de nous émerveiller, c’est justement par la prise directe et aventureuse qu’il établit entre lui, la matière et l’univers. Et quoi de mieux, alors, que le face-à-face avec la  » mer  » pour s’affronter comme  » humain  » ?  » Homme libre, toujours tu chériras la mer « , disait Baudelaire. On comprend alors pourquoi, en lieu et place d’un historique (de William Turner à Anselm Kiefer) ou d’un rassemblement par familles esthétiques (réalisme, impressionnisme, expressionnisme…), Van den Bussche a préféré la confrontation, toute chronologie bousculée, entre diverses expériences de ce face-à-face.

La visite commence par une série de Marines signées Permeke, le héros de Van den Bussche. De la peinture grasse, belle et savoureuse, solide et toujours monumentale, puissante, avec, pour le dire, des gestes francs et décidés, des épaisseurs onctueuses, des pics, des mottes et, surtout, de belles couleurs de terre que viennent çà et là illuminer un noir, un rouge ou un jaune d’or. Et Permeke, une fois encore, convainc quand il fait de la mer une terre qui avale le ciel et plante les vagues comme des rochers nocturnes. Face à lui, le Français Gustave Courbet, de plus d’un demi-siècle son aîné, décline à son tour la puissance du minéral, même si le ciel est clair et la mer plus lisse. Plus loin, émerveillé par tant de beaux reflets, Van Rysselberghe, si juste dans Les Dunes au Zwin, tente le plus souvent d’y mettre un ordre que font voler en éclats les emportements joyeux de Claude Monet. Chez le Normand, la mer, c’est d’abord de l’air, du vent, du vide, riches en reflets tournoyants. C’est le bonheur, la vie, l’énergie.

Avec René Magritte, il sera moins question d’observations que d’évasions poétiques, de rêveries et de songes. D’une tout autre facture, mais dans un registre résolument actuel, se situent les tableaux blancs d’Alex Katz ou encore une grande composition de Luc Tuymans qui métamorphose ses souvenirs de la mer en une respiration saline aussi légère que puissante. De là à évoquer l’angoisse, il n’y a que quelques pas… qui nous mènent droit aux pastels de Spilliaert et de ses plages rouges et bleues. Aux côtés d’une composition menaçante, au centre de laquelle, et en contre-jour, penche une chaloupe échouée, on voit aussi combien l’artiste ostendais prend plaisir à poser la mer comme une chevelure sur la plage. Tout autres sont les propos de James Ensor. A marée basse gargouillent les  » gommeux flanellés, mules grouillant sur mules, belles petites taquinant crustacés mollets « .

A marée haute, la mer devient un vide saignant. Et l’occasion, surtout, d’une superbe confrontation avec une toile monumentale de Fred Bervoets. L’exposition ménage aussi des temps plus calmes, des redondances, des faiblesses, des insistances douteuses, mais on retiendra le meilleur : par exemple, la rencontre entre trois toiles de l’expressionniste allemand Emil Nolde, La Grande Vague, de Miquel Barcelo (2002), et une composition monumentale d’Anselm Kiefer. Ici, on rejoint le mythe, la vision, cet au-delà de la peinture qui, d’un seul coup, tout en nous ravissant, nous plonge aussi au-delà de nous-mêmes.

Guy Gilsoul

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