Hersant, l’empire n’abdique pas

Robert, le père, a laissé un groupe de presse au bord de la déroute. Philippe, le fils du  » Papivore « , a recréé le sien, avant de se retrouver à son tour dans la tourmente. A la tête d’une maison très endettée, il se débat pour la sauver.

Certains vous diront qu’ils ont eu le privilège de croiser Robert Hersant, l’un des patrons de presse les plus secrets. D’autres vous expliqueront qu’ils ont eu la chance d’approcher Philippe Hersant, l’un des cinq héritiers du  » Papivore « . Installé à la tête d’un empire développé au pas de charge, cet homme de 57 ans, taiseux et batailleur comme  » RH « , semble également décidé à se forger de redoutables initiales. Tout aussi ambitieux et volontaire que son père, Philippe Hersant affronte depuis deux ans une violente bourrasque : secoué par la crise, son groupe est durement touché. Au bord du gouffre, soufflent même les plus pessimistes, qui s’interrogent sur les capacités de l’héritier à conjurer le sort.

A sa disparition, le 21 avril 1996, Robert Hersant avait laissé derrière lui une maison en perdition, la Socpresse, par ailleurs actionnaire du groupe Rossel (Le Soir, Soir Mag, Sud Presse) depuis 1987. L’histoire bégaierait-elle ? Quinze ans plus tard, Philippe Hersant offre le spectacle d’un homme ballotté aux commandes d’une entreprise qui croule sous les dettes. Constitué, pour l’essentiel, de 27 quotidiens régionaux, d’une myriade de titres gratuits et d’un chapelet d’imprimeries, le Groupe Hersant Média (GHM) traverse depuis 2007 une tempête. Si bien qu’il est tentant d’établir un parallèle entre les destins du père et du fils.

 » Accordez-moi de la personnalité, de l’enthousiasme et de la passion, avant de penser que je ne suis que le produit d’un père patron de presse « , corrige, un brin agacé, celui qui refuse qu’on réduise son parcours à une simple question d’hérédité. De petits yeux ronds et mobiles, des mains sagement croisées, et une silhouette amidonnée, qui se détend dans un éclat de rire : cocktail de malice, d’humour ciselé et d’intelligence froide, il y a pourtant chez lui nombre de traits de caractère et d’attitudes du patriarche disparu. Ne serait-ce que cette expression polaire qu’il s’empresse d’adopter dès qu’on l’interroge de trop près sur ses difficultés.

Une des plus grosses fortunes de Suisse

Un passionné ? A l’évidence. Philippe Hersant a grandi dans l’odeur de l’encre et du papier. Il a 25 ans quand, aux termes d’une donation-partage effectuée en 1981 par Robert Hersant, il se retrouve à la tête de France-Antilles, un groupe de presse installé outre-mer – le joyau de l’empire. C’est là-bas qu’il fait ses premières armes, avant d’aller se frotter aux réalités du métier dans les étages de Centre Presse, un groupe situé dans le Massif central, dont son père lui a confié les commandes.

Du coup, rien ne semble étranger à celui qui connaît les ficelles et les arcanes de cette industrie. Philippe Hersant connaît dans leurs moindres détails salles de rédaction, imprimerie ou centre de distribution de journaux. Et, quand, en 1985, il crée  » GHM « , holding de 6 740 salariés qui abrite aujourd’hui l’ensemble des activités qu’il dirige et dont il détient 20 % du capital, c’est pour le développer à la manière de  » RH  » : à marche forcée. De 618 millions d’euros en 2004, le chiffre d’affaires de GHM est ainsi passé à quelque 750 millions en 2009. Le développement s’est fait notamment hors des frontières : Philippe Hersant, qui a élu domicile en Suisse, à deux pas de Genève, n’a cessé d’y collectionner les acquisitions. Ici, l’homme s’est constitué, depuis 2001, une base arrière solide dans une région où il possède une grande partie de la presse locale – de La Côte à L’Express, en passant par L’Impartial. Une présence qui lui vaut de figurer au palmarès des plus grosses fortunes du pays.

Mais c’est en France, dans le sud de l’Hexagone plus spécialement, où il règne en maître depuis les rachats, en 2007, de La Provence et de Nice-Matin au groupe Lagardère, qu’il a réalisé ses prises de guerre les plus retentissantes. C’est aussi cette année-là qu’il a repris la Comareg. Une acquisition synonyme de malédiction, car ce géant de la presse gratuite (280 éditions, 200 millions d’exemplaires distribués par an), qui publie l’hebdomadaire ParuVendu, est devenu le talon d’Achille de GHM. Veau d’or du groupe Havas jusqu’au milieu des années 1990, cette entreprise de 2 500 salariés a subi de plein fouet l’explosion d’Internet : le transfert massif sur la Toile du marché des petites annonces l’a littéralement laminée. La crise économique qui a frappé la presse quotidienne française, l’affaissement des recettes publicitaires conjugué à l’érosion des ventes ont fini d’aggraver les difficultés de la Comareg, dont la mise en redressement judiciaire vient d’être demandée par Philippe Hersant.

Toiletté le groupe devrait s’en sortir

Déstabilisé, l’héritier ? Malgré un endettement de 210 millions d’euros, et un patrimoine personnel évalué à 70 millions (il a fondu de plus de 70 % en deux ans), l’industriel garde le moral.  » La presse écrite a un bel avenir, pour peu que l’on prenne les bonnes orientations, soutient-il. On dit tantôt que je n’ai pas de stratégie, tantôt que je suis un stratège : je n’écoute pas et j’avance.  » Démonstration : bien qu’endetté, son groupe gagne de l’argent. Peu, certes (15 millions d’euros en 2010), mais suffisamment pour qu’il demeure optimiste. Ensuite, la presse quotidienne régionale (PQR), grâce à un marché publicitaire local vivace, résiste mieux à la crise économique, si bien que l’ensemble des journaux de GHM dégage des profits. Troisième élément, enfin, Philippe Hersant a mis en chantier un imposant programme de restructuration – son plan Marshall.

La première étape va consister à restructurer la dette. Elle fait déjà l’objet d’intenses discussions avec un pool bancaire emmené par BNP Paribas. Deuxième étage de la fusée : réformer la Comareg, dont le réseau de distribution va être élargi, modernisé et numérisé, une fois les comptes apurés et le plan de sauvegarde approuvé. Le troisième volet porte sur un important développement sur Internet pour l’ensemble des titres, gratuits et payants. Objectif : dégager 45 millions d’euros de revenus à l’horizon 2012. Enfin, le groupe s’est désengagé de la télévision locale. Après avoir succombé à ce mirage, Philippe Hersant va fermer cette activité.

Ainsi toiletté, GHM devrait retrouver des couleurs. Tel est en tout cas le pari de celui qui regarde avec perplexité l’émergence discrète du nouveau n° 1 de la PQR : le Crédit mutuel.  » Cela ne semble émouvoir personne !  » s’étonne Philippe Hersant, qui aimerait que l’on s’intéresse un peu plus à la boulimie de la banque et un peu moins à ses propres soucis. Mais le développement du Crédit mutuel est aussi un signe de la vitalité de la PQR : un à un, le groupe de Michel Lucas – surnommé le  » petit Hersant  » ! – a fait tomber dans son escarcelle les bastions les plus emblématiques comme Le Progrès et Le Dauphiné libéré, jadis propriétés de Robert Hersant.

A l’époque,  » RH  » dominait la presse française. Quinze ans plus tard, Philippe se retrouve dans la situation inédite d’un outsider. Mais cette confrontation avec l’ogre Lucas ne semble pas faite pour lui déplaire. Tel père, tel fils.

RENAUD REVEL

 » LA PRESSE A UN BEL AVENIR SI L’ON PREND LES BONNES ORIENTATIONS »

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