herman Van Rompuy

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Improbable Premier ministre il y a moins d’un an, impensable premier président de l’Union européenne voici quelques semaines encore,  » Herman superstar  » a survolé l’année 2009. Il la quitte dans un état de grâce qui le transfigure. Rencontre avec l’homme de l’ombre définitivement passé à la lumière.

Il lui a fallu moins d’un an pour passer à la postérité. Pour entrer de son vivant dans la légende. Il se marre en douce, quand il en touche un mot à son vieux complice Jean-Luc Dehaene :  » J’ai dit à Jean-Luc : tu as mis plusieurs années pour devenir un mythe. Moi, je le suis devenu en dix mois.  » Le regard malicieux, les lèvres étirées en un petit sourire entendu, Herman Van Rompuy ne boude pas son plaisir. Premier ministre inespéré en janvier 2009, premier président du Conseil européen inattendu dix mois plus tard : c’est quand l’âge de la retraite se pointe doucement à l’horizon qu’à 62 ans il se met à brûler les étapes.  » Nier que cela me fait plaisir serait ridicule et hypocrite « , lâche le nouveau visage que découvrent des millions d’Européens intrigués. Ce soir-là, l’ex-Premier ministre nous reçoit alors qu’il prend congé de ses appartements de fonction, à la résidence de la rue Lambermont. La tête déjà dans les étoiles du firmament européen. Visiteéclair au président français Sarkozy à Paris, interviews en cascade, tour endiablé des capitales européennes : l’homme est déjà pleinement dans son sujet. Il ne s’étonne même plus de ne ressentir aucun stress à la veille du grand saut dans l’inconnu.  » Je sais que ce n’est pas très crédible, mais j’ai appris à me distancer du pouvoir. Je ne serai jamais un homme déçu. J’ai fait de ce détachement une seconde nature.  » Elle l’aide à gérer sans fébrilité cet emballement. Qui lui en rappelle un autre, dans sa longue carrière politique.  » J’ai vécu cette sensation en 1988 : élu sénateur en janvier, nommé secrétaire d’Etat aux Finances en mai, choisi comme président du CVP en septembre.  » Son rêve alors devenu réalité.

Périlleuses années 1990

Douloureuse réalité pourtant, vécue à la tête d’un parti qui va manger son pain noir. D’abord le traumatisme du CVP devant le refus royal de signer la loi sur l’avortement en 1990 :  » La principale victime de tout cela aura été le président Herman Van Rompuy qui, précisément et plus que tout autre, s’était fait le héraut des principes éthiques de son parti « , relève l’ex-directeur du CEPESS (centre d’études du CVP-PSC) Rolf Falter (1). Ensuite, la dégelée électorale lors du  » dimanche noir  » de novembre 1991. Qui met le CVP à deux doigts de valser dans l’opposition, avant d’être laborieusement remis en selle aux côtés des socialistes. Avec pour patron Jean-Luc Dehaene, convaincu par Van Rompuy de ne pas quitter la politique. Les francophones, qui n’avaient jamais été aussi proches d’envoyer un des leurs au 16, rue de la Loi, en seront pour leurs frais : le PSC Melchior Wathelet loupe le coche. Le CVP y est pour quelque chose, son président de l’époque aussi. C’est à lui que certains attribuent la sentence assassine :  » Wathelet et son programme sont dignes d’un bac à sable.  » Van Rompuy ne sort pas indemne de l’épreuve. Le président doit rendre des comptes aux militants : cinq heures durant, il affronte en solitaire les critiques d’un congrès d’évaluation. Et finit par jeter l’éponge en 1993, pour devenir ministre du Budget.

Van Rompuy a donc reçu des coups. Il en a aussi donné. Parfois féroces, portés au sein même de son parti. Quand il gouverne avec les socialistes à la charnière des années 1970 et 1980, le Premier ministre Martens doit subir régulièrement les analyses budgétaires du redouté économiste qui dirige alors le CEPESS. La critique, ouverte, n’est pas forcément innocente : Van Rompuy est un fidèle de Leo Tindemans, l’éternel rival de Martens au sommet du CVP. Entre Martens et Van Rompuy suivront  » de longues périodes de rivalité, de désaccord, de silence « , confie le premier dans ses Mémoires. Scellées par une réconciliation. Porté aux nues, Herman Van Rompuy n’a pas toujours été un enfant de ch£ur.

Sortie triomphale

Le bienheureux n’en a cure. C’est en beauté, sous un concert de louanges, qu’il tire sa révérence de la scène politique belge.  » Que rêver de mieux comme sortie ?  » sourit celui qui, revenant sur ses résolutions, se serait finalement bien vu rempiler au poste de Premier ministre après le scrutin de 2011. Il laisse derrière lui l’empoisonnant dossier BHV, qu’il sait entre les mains expertes de Jean-Luc Dehaene.  » Même si j’envisageais plutôt la piste du groupe des sages.  » L’£il à nouveau dans le rétroviseur, Van Rompuy lâche un regret, comme une pointe d’inquiétude :  » Le renvoi du CD&V dans l’opposition, de 1999 à 2007, n’a pas été une bonne chose pour le pays. Car, quand un parti est dans l’opposition, il se radicalise sur le plan communautaire : le PS dans les années 1980 est tombé dans le piège du nationalisme en intégrant José Happart, le MR a fait de même avec le FDF dans les années 1990, et le CD&V avec la N-VA.  » Mais cela n’est plus le problème du premier président de l’Europe, pour user d’un raccourci qu’il déteste. Comme tous les faux espoirs, qu’il craint comme la peste.

(1) Un parti dans l’histoire 1945-1995, 50 ans d’action du Parti social-chrétien, éd. Duculot

Pierre Havaux

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