En forçant la rupture des négociations avant de revenir à de meilleures dispositions, le Premier ministre grec Alexis Tsipras a éprouvé la résistance de ses créanciers. Pour quel dividende ?
La semaine de tous les dangers. Et de tous les revirements ? Le feuilleton du règlement de la dette grecque a connu ces derniers jours des épisodes croquignolets qui désespèrent quelque peu du sérieux de la classe politique. Premier temps : le Premier ministre Alexis Tsipras annonce un référendum surprise sur le programme de mesures, non encore ficelé, suggéré par les créanciers à la Grèce. Les membres de l’Eurogroupe sifflent » la fin de la récréation » et considèrent nulles et non avenues leurs propositions. Deuxième temps : Alexis Tsipras consent à revenir à la table des négociations à l’issue de la consultation populaire du 5 juillet et, orchestrée apparemment par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, une » proposition de dernière minute » est sortie de son chapeau à quelques heures du délai fixé pour le remboursement de 1,5 milliard de dollars au FMI, le mardi 30 juin à minuit. Entre paiement grâce aux créanciers, arriéré de paiement et défaut de paiement, la Grèce est sur le fil du rasoir. Revue des questions pendantes et des enjeux actuels et futurs.
Les positions de la Grèce et de ses créanciers inconciliables ?
Avant la rupture des négociations consécutive à l’annonce du référendum grec, les partenaires s’étaient accordés sur le montant des économies exigées et sur la consolidation budgétaire à mener. Ils divergeaient sur les moyens d’y parvenir, les modalités de la réforme des retraites et de la hausse de la TVA. » Au vu du chemin parcouru par le gouvernement grec pour satisfaire aux exigences du FMI et de l’Union européenne, à bonne distance du programme du parti Syriza, Alexis Tsipras a été surpris par le rejet de ses propositions, analyse Grégory Claeys, économiste au Centre d’études européen Bruegel. Il s’est senti acculé. D’où ce coup de poker du référendum. » Sans doute, le Premier ministre grec n’imaginait-il pas que l’Eurogroupe ne prolongerait pas son programme d’aide jusqu’à la consultation populaire.
Au-delà des mesures de redressement d’urgence, un paramètre semble central dans le rejet des Grecs : ils réclament une réduction de leur dette, fût-elle exprimée sous la forme d’une promesse. Cet élément est apparu dans l’ultime proposition européenne du 30 juin, l’engagement d’un allègement de la dette qui serait annoncé en octobre. Auquel les créanciers ajoutent d’autres propositions plus spécifiques, comme une certaine souplesse dans la demande de suppression des primes accordées aux retraités les plus pauvres.
Le Fonds monétaire international a-t-il été le créancier le plus intransigeant ?
Oui et non. Pour l’ancien président de la Banque européenne d’investissement Philippe Maystadt, sa directrice générale Christine Lagarde aurait été particulièrement intransigeante dans la dernière ligne droite des discussions. Jacques Attali, ancien conseiller du président français François Mitterrand, fustige » le terrorisme intellectuel des prétendus experts du FMI, une institution à dominante américaine « . Pour d’autres sources, le jugement est plus nuancé. Le FMI aurait fait montre de flexibilité sur une restructuration de la dette grecque et beaucoup moins sur la sévérité des réformes, notamment des retraites. » La position du FMI est quelque peu schizophrénique, souligne Grégory Claeys. Il est partisan d’une réduction de la dette, partageant implicitement avec Athènes une part de la responsabilité de la conjoncture actuelle en raison de conseils controversés. Mais il invite ses partenaires européens à la réaliser concrètement parce que, comptant dans ses membres des pays moins riches encore que la Grèce, une suppression de ses propres créances serait mal perçue. »
Quelle est la crédibilité du référendum ?
Confrontation de deux légitimités démocratiques. Celle du gouvernement grec à solliciter l’opinion du peuple sur des mesures qui touchent à sa vie quotidienne. Celle de l’Eurogroupe dans son fonctionnement. » Jouer une démocratie contre 18 n’est pas une attitude qui convient à la Grèce. En Europe, aucune démocratie ne vaut plus qu’une autre « , a déploré le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, se sentant trahi par le coup de force d’Alexis Tsipras. Le timing de l’annonce de la consultation populaire grecque est en tout cas contestable. La suite de l’histoire l’a confirmé. La controverse n’a pas été levée sur la formulation de la question soumise aux citoyens grecs. Le Premier ministre grec s’est montré ensuite beaucoup plus conciliant sur une reprise des négociations, quelle que soit l’issue de la consultation.
Quelles seront les conséquences du référendum ?
Si le » non » l’emporte, Alexis Tsipras revendiquera une nouvelle légitimité pour, espère-t-il, obtenir des concessions des créanciers. On peut douter qu’elles dépassent des amendements à la marge. Au moins, le leader de Syriza pourra-t-il exciper avoir poussé l’Union européenne et le FMI dans ses derniers retranchements avant d’avoir dû accepter un compromis.
Si le » oui » gagne, la position du Premier ministre sera d’autant plus fragilisée qu’il sera censé appliquer une politique qu’il a combattue et qu’il n’a pas réussi à infléchir comme il l’espérait. Lui aussi promoteur d’un référendum surprise à l’automne 2011, le Premier ministre socialiste Georges Papandréou avait finalement renoncé et démissionné au profit d’un gouvernement de technocrates, sous la pression des puissances européennes. Alexis Tsipras est un partenaire moins malléable. Mais nul doute que certains dirigeants rêvent secrètement à une semblable issue en cas de revers référendaire pour le chef du gouvernement grec.
Un Grexit serait-il grave ?
Deux écoles s’affrontent. Celle représentée par Luc Coene, l’ancien gouverneur de la Banque nationale de Belgique, pour lequel une sortie de la Grèce de la zone euro pourrait être une » aubaine » parce qu’elle renforcerait l’homogénéité de l’Eurogroupe (lire l’interview en page 68). L’autre école redoute le préjudice d’un Grexit pour l’Union européenne, plus sur un plan politique qu’économique. » L’euro a été construit sur le principe d’un mouvement irréversible, souligne Grégory Claeys du think tank Bruegel. La sortie de la Grèce pourrait créer un précédent et conduire le moindre pays ne répondant pas à un certain nombre de critères de convergence sur la même voie. » En toutes hypothèses, les avis convergent pour considérer qu’un phénomène de » contagion à la Lehman Brothers « , pour les banques, est exclu parce que l’Union européenne est désormais mieux armée pour y faire face. C’est déjà ça.
Par Gérald Papy