Grèce

La gauche radicale à la tête du gouvernement a cédé aux exigences de l’Union européenne. A-t-elle vendu son âme au diable ?

L’opération est à elle seule emblématique de ce que les Grecs ont vécu en 2015, entre humiliation, contrainte et courage. A la mi-décembre, le gouvernement d’Alexis Tsipras et l’Agence de privatisation ont conclu un accord sur la cession de la gestion et de l’exploitation de quatorze aéroports régionaux avec le consortium privé… allemand Fraport. Outre la nationalité de l’opérateur, tout de même associé à la société grecque Copelouzos, la transaction est symbolique parce qu’elle est la première d’envergure mise en oeuvre par Athènes dans le cadre du plan d’austérité européen imposé le 13 juillet et parce qu’elle est menée par un chef de gouvernement qui, au lendemain de la victoire de son parti de gauche radicale Syriza, en janvier, en avait catégoriquement exclu l’hypothèse.

 » Pour éviter le désastre au pays  » : Alexis Tsipras explique en ces mots, le 14 juillet, les raisons qui l’ont finalement poussé à céder aux Européens au terme d’un psychodrame qui a failli provoquer la sortie – ou la suspension – de la Grèce de la zone euro et l’entrée de celle-ci dans une période de défiance et de turbulences. Rétrospectivement, on peut questionner l’utilité du dernier coup de poker du jeune chef de gouvernement. Au prix de la rupture de négociations, il convoque la population grecque pour approuver ou plutôt rejeter – il lance un appel en ce sens – les exigences des créanciers du pays. Une large majorité de Grecs le suit. Mais quelques jours plus tard, c’est le même Alexis Tsipras qui s’aplatit devant Angela Merkel et François Hollande. Le leader de la gauche radicale grecque a-t-il cru qu’un sentiment de culpabilité instillé dans l’esprit des dirigeants européens les pousserait à des concessions ? A-t-il voulu prouver à ses concitoyens qu’il avait épuisé tous les arguments possibles avant l’inéluctable issue ? Alexis Tsipras n’en sort pas indemne. Il fait figure de traître aux yeux de ses amis les plus radicaux. Ceux-ci le quittent un peu plus tard. Mais leur combat sera vain. Lors de nouvelles élections législatives tenues en septembre, la formation d’Alexis Tsipras stabilise quasiment son poids politique en sièges et en voix. Le chantier des réformes peut être mis en oeuvre avec le concours de son allié contre nature, le mouvement de droite populiste des Grecs indépendants. L’accord de Bruxelles autorise un troisième plan d’aide de 86 milliards sur trois ans à Athènes en échange de changements structurels en matière de retraites, de taux de TVA, de libéralisation de secteurs économiques, de modernisation de l’administration… Ce programme au forceps a pour but de faire rentrer la Grèce dans les rails de l’orthodoxie budgétaire, les sacro-saints 3 % auxquels quelques pays, l’Allemagne en tête, n’ont pas voulu déroger.

Manifestations, grèves, insultes à l’encontre d’Angela Merkel et des responsables de la troïka (Commission et Banque centrale européennes, Fonds monétaire international) appelés à négocier avec les autorités, démission du ministre des Finances Yanis Varoufakis : rien n’y a fait. Le ressentiment est grand parmi les Grecs les plus défavorisés, principales victimes des privations. Deux analyses s’opposent.  » Comme entre boire ou conduire, entre la stabilité monétaire et la démocratie, il a fallu choisir. […] Il n’est pas de politique progressiste possible à l’intérieur de l’eurozone « , assène l’économiste et philosophe Frédéric Lordon dans une chronique du recueil On achève bien les Grecs (éd. Les liens qui libèrent).  » La réalité européenne, c’est une pluralité de démocraties. […] Les Grecs se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas faire des promesses électorales sur le dos des contribuables des autres pays « , réplique Luuk van Middelaar, l’ancien conseiller du président du Conseil européen Herman Van Rompuy.

Fin 2015, les Grecs retrouvent un semblant d’espoir grâce à une bonne saison touristique, un frémissement de baisse du chômage (de 26,1 % en septembre 2014 à 24,6 % un an plus tard), et une consommation relativement soutenue des ménages. Mais le doute subsiste sur la faculté du gouvernement, épinglé aussi pour sa gestion du dossier des réfugiés, à faire adopter par sa majorité toutes les réformes promises. Le pari de l’Union européenne n’est pas encore gagné.

Gérald Papy

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