Grandir, c’est partir un peu

Louis Danvers Journaliste cinéma

C’est un singulier portrait de famille que nous propose le Québécois Jean-Marc Vallée dans C.R.A.Z. Y. Le jeune cinéma relève décidément la tête du côté de Montréal

Voici trois ans à peine, c’était encore le  » vétéran  » Denys Arcand qui faisait l’événement du cinéma québécois avec son magnifique Les Invasions barbares. Mais la jeune génération qui se révèle aujourd’hui semble désormais capable de donner la cadence. Après l’excellente surprise de La Vie avec mon père, de Sébastien Roze (sorti la semaine dernière et qu’il ne faut pas manquer), Jean-Marc Vallée fait une irruption bienvenue sur nos écrans avec un remarquable C.R.A.Z.Y. Tout comme celui de Roze, le film de Vallée parle de la famille, et singulièrement des rapports masculins (entre père et frères, et des frères entre eux) au sein de celle-ci.

Cette chronique inventive et sensible va des années 1960 aux années 1980, et suit de la naissance à l’entrée dans l’âge adulte la trajectoire de Zachary Beaulieu, alias Zac. Cadet de quatre garçons faisant la fierté d’un père un peu macho et d’une mère aimante, notre jeune héros va peu à peu se sentir différent des autres, et se révéler en effet singulier dans un petit monde où chacun semble bien défini dans un rôle précis : le frère intello à lunettes, le frère sportif aux cheveux coupés en brosse, le frère rockeur un peu voyou sur les bords… Zac, lui, ne demanderait pas mieux de réunir les qualités viriles que son paternel espère visiblement trouver en lui. Mais il se découvre tout au contraire et avec inquiétude un penchant pour les garçons, un penchant qui va progressivement se transformer en pente savonneuse sur laquelle il glissera vers la réprobation générale ou presque des siens…

Zaco le héros

C.R.A.Z.Y. détaille avec art et intelligence les efforts aussi vains que sincères du jeune homme pour nier son inclination profonde et brider une personnalité qu’il lui faudra pourtant, au bout du compte, laisser s’exprimer pour donner à sa vie l’élan qui lui manquait. Récit d’apprentissage dans la meilleure tradition du genre, le film aligne les saynètes révélatrices, tantôt franchement amusantes, tantôt fort embarrassantes, parfois simultanément l’un et l’autre. Ceux qui ont aimé Toto le héros, de Jaco Van Dormael, et Ma Vie en rose, d’Alain Berliner, ne pourront manquer d’apprécier le travail subtil et précis de Jean-Marc Vallée. Joué de manière épatante par Emile Vallée (Zac enfant), Marc-André Grondin (Zac adolescent), et Michel Côté (le père), enrichi d’une musique volontiers liée à l’évolution de son personnage central (de Pink Floyd à David Bowie, en passant par les Stones), C.R.A.Z.Y. allie charme et pouvoir percutant, justesse des émotions et plaisir du spectacle, et fait affleurer, sous une surface au trait parfois caricatural, une vérité humaine éminemment partageable. Au Québec, un énorme succès public et critique l’a déjà accueilli, le film attirant plus d’un million de spectateurs dans les salles (pour une population de 7,5 millions d’habitants) avant de glaner 13 récompenses à la cérémonie des jutras, équivalent local de celle des césars en France !

Inspiré, de son propre aveu, par un Frank Capra  » qui savait faire des films comme La vie est belle (1), des films procurant une sensation de bonheur intense « , Vallée signe une £uvre à la fois personnelle et apte à séduire un vaste public. Déjà prophète en son pays, souhaitons-lui de récidiver ici…

(1) It’s a Wonderful Life (1946), à ne pas confondre avec le film plus récent de Roberto Benigni.

Louis Danvers

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