Goya et le portrait

Guy Gilsoul Journaliste

Par sa peinture, l’Espagnol Goya témoigna de son temps et ce jusqu’à l’horreur. On sait moins qu’il consacra le tiers de sa production aux portraits. Pour la première fois, plus de 70 d’entre eux ont été réunis à Londres.

L’exposition est exceptionnelle à plus d’un titre. D’abord, par son contenu  » historique  » : les premiers opus datent des années 1780 quand, après dix années difficiles, Francisco Goya (1746-1828) pénètre le cercle de l’aristocratie puis de la Cour d’Espagne, ses fastes et ses déboires. Ensuite, par la qualité des oeuvres animées par le regard audacieux du maître. Enfin, par la qualité de la sélection et donc des prêts.

De la première salle, on retient surtout le portrait de Charles III réalisé l’année où Goya devient peintre du roi. L’homme, plutôt despote éclairé, est assez débonnaire et, dit-on, préfère qu’on l’appelle  » Charles  » plutôt que  » Sire « . Goya le présente, devant un paysage apaisé, en pied et à taille réelle dans l’habit du chasseur avec ses deux attributs obligés, le fusil et le chien (endormi). Le regard du souverain est tout en bienveillance, ironique même voire étrange dans le cadre d’un portrait officiel qu’il s’agira quelques salles plus loin (la cinquième des sept) d’opposer à celui de Ferdinand VII qui, après la victoire et les espoirs du peuple ayant chassé les armées françaises, impose à nouveau l’Inquisition.

Le deuxième espace réunit ducs, marquis et comtes, qui furent les premiers mécènes du peintre, et particulièrement la famille d’Altamira. Chaque salle réserve de belles surprises. Un autoportrait dans la troisième, Maria Luisa à la mantille (des collections royales) ou encore La duchesse d’Albe dans la quatrième. Mais ce sont les deux dernières salles qui sont les plus intenses parce qu’elles visent les amis intimes, quelques autoportraits douloureux (Autoportrait avec le docteur Arrieta) et la famille. Sa femme, son fils ou enfin, ce petit-fils peint quelques mois avant la mort de l’artiste.

Les meilleurs portraits sont ceux qui parviennent à incarner en même temps le caractère inaliénable de l’individu (sa psychologie), son appartenance à la société et le rapport établi avec… le peintre. Soit des exigences que l’on retrouve chez Goya le portraitiste. Mais pour ce faire, il aura dû tout à la fois proclamer sa passion pour le métier de peintre et affronter ses mécènes et les convenances. En cela, il est aussi le précurseur d’une attitude que les Romantiques après lui revendiqueront : la liberté de l’artiste.

 » Solo Goya  »

Le portrait de la duchesse d’Albe (1797), lui, est réalisé cinq ans après la terrible maladie qui rend Goya sourd et à demi paralysé. Il a 51 ans. Elle en a 35 et est veuve depuis un an. Elle le fascine. Il en serait même amoureux. Ce sentiment s’exprime à travers la manière de peindre autant que par l’un ou l’autre indice. Voyez les deux anneaux que porte à la main droite l’illustre duchesse. Sur le premier, on lit  » Albe « . Sur le second,  » Goya « . Ce n’est pas tout : de l’index, la belle aux yeux sombres indique une inscription sur le sable,  » Solo Goya « .

Mais la passion (impossible) s’exprime aussi par le choix de la pose à la fois offerte et retenue. Une expression que révèlent, au-delà du mouvement général de torsion, l’opposition entre le visage et le reste du corps, le geste un peu raide du bras gauche ou encore la position des pieds. Enfin, il y a le travail du pinceau, le choix des couleurs et l’écriture. A certains endroits, le peintre multiplie les gestes furtifs (la mantille, par exemple). A d’autres (les escarpins), il pose la teinte par petits points patients ou encore l’étire en larges plans lisses (le traitement des plis).

Le violent contraste entre les multiples noirs (de la robe, de la mantille, des cheveux et des yeux) et la presque incandescence du visage à son tour exaltée par les ors des manches et le rouge de la ceinture dit autant la passion pour son métier que celle pour la duchesse. Derrière celle-ci, le paysage est noté en tons assourdis, laissant au ciel laiteux mais sans nuage le soin de porter, vers les avant-plans, la seule figure, le visage et les petites lèvres rouges soudées et donc muettes. Quant au regard, à la fois lointain et presque dédaigneux, il maintient à son tour la distance. En réalité, il semble aujourd’hui prouvé que Goya peignit ce tableau pour lui seul.

Goya. The Portraits, à la National Gallery, à Londres. Jusqu’au 10 janvier 2016. www.nationalgallery. org.uk

Guy Gilsoul

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