Suite aux attentats du 13 novembre, une séquence du Petit Journal (Canal+) a ému bon nombre de téléspectateurs. Celle-ci montrait l’échange entre un petit garçon et son père : » C’est pas très gentil, les méchants. Les méchants, papa, ils ont des pistolets, ils peuvent nous tirer dessus car ils sont très très méchants » ; » Eux ils ont des pistolets, nous on a des fleurs » ; » Ben les fleurs ça sert à rien, c’est pour […] » Insistant sur la prépotence des fleurs et des bougies, le père coupa court à l’analyse du bambin, faisant jusque-là preuve de lucidité quant à notre vulnérabilité face à l’incommensurabilité du Mal qui nous entoure.
En effet, dans ce climat anxiogène de terreur furtive, le Mal fit son grand retour. » Le bien est plus fort que le mal » pouvait-on lire ce 14 novembre dans un communiqué des chefs d’Etat et des dirigeants européens. Cette notion de Mal, bien que n’ayant jamais réellement disparu des discours politiques modernes – on songera à Ronald Reagan ou George W. Bush – demeurait jusqu’ici étroitement liée au nazisme. Dans Reductio ad Hitlerum (1), paru en 2014, François De Smet considérait qu’aucun ennemi n’était parvenu à remplacer dans les consciences cet ennemi originaire, définitif et radical : l’Allemagne nazie. La référence de l’ennemi politique absolu.
Il y a tout juste un an, Laurette Onkelinx (PS) dénonçait encore » le bruit des bottes dans le gouvernement « , percevant le Mal absolu chez son voisin de banc à la Chambre, Theo Francken. Depuis, de l’eau coula sous les ponts ; à Bruxelles les bottes ont foulé le piétonnier, symbole du » vivre ensemble » tel que le projetait l’ingénierie politique locale, pour protéger le piéton contre un Mal bien réel : Daech.
Pour contrer ce Mal, deux solutions se trouvèrent d’emblée artificiellement opposées : guerre versus prévention. Le binarisme parlementaire exigeant une simplification, il fallut recodifer les enjeux selon une grille de lecture partisane. Réflexe » néo-bushiste » d’un côté, visant à territorialiser la menace et que d’aucuns qualifieront de confinement factice – bombarder Raqqa (ou Molenbeek) comme palliatif au mal qui nous ronge de l’intérieur ? De l’autre, la prévention vue comme sédatif social administré aux » quartiers populaires » par un tissu d’asbl maternantes, suppléant Etat et familles ; des associations remédiant au » dressage » déficitaire d’une jeunesse en déperdition, en proie aux stigmatisations, et dont le rôle est de déminer de potentielles » bombes à retardement « . Celui qui ne trouverait pas de reconnaissance dans la société la chercherait contre elle. Le lâchage se muerait en fanatisme. » J’ai seulement entendu Charles Michel parler de répression, mais je n’ai rien entendu sur la prévention « , s’inquiète ainsi Sarah Turine (Ecolo).
A côté d’une gestion préventive des mauvaises herbes ou du désherbage massif sous niveau d’alerte maximal, on suggère, entre autres, l’évidente fusion des zones de police car » les terroristes ne s’arrêtent pas aux frontières communales « , dixit Servais Verherstraeten (CD&V). Et pour Molenbeek livrée au » bashing » zemmourien : des fleurs et des bougies.
Le politique ne semble pas doté du logiciel adéquat pour produire autre chose qu’un encadrement situationnel d’urgence : principe de précaution dans les écoles mais relance de Doel 3 et Tihange 2. Déléguée à d’autres ou entravée par une lecture manichéenne, la prise en considération des microfissures sociales (observables depuis deux décennies à Molenbeek), comme celles dans les réacteurs, ne semble plus du ressort du pouvoir.
(1) Reductio ad Hitlerum. Une théorie du point Godwin,par François De Smet, Puf, 2014.
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par Nicolas Baygert